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sociétés asiatiques; leur civilisation était plus douce, le sort moyen plus équitable, les résistances de la matière à l’activité humaine plus facilement vaincues, les esprits plus philosophes, les conceptions morales moins tourmentées que dans les familles sémitiques et aryennes.

A côté de cette confiance dans la vie présente et en contradiction apparente avec elle, la constante et générale préoccupation de la mort pèse sur toute la civilisation égyptienne. C’est le grand problème de Saqqarah. Pour rendre la contradiction moins incompréhensible, il faut observer que cette préoccupation n’a rien de macabre, comme dans notre moyen âge; c’est plutôt le respect d’une étiquette rigoureuse qui domine toute la vie et la tourne vers le tombeau. Si l’on n’en jugeait que par les monumens, toute cette société et ses rois n’auraient vécu que pour le monde d’au-delà. La précieuse inscription d’Ouna nous montre bien quelle place tenaient dans la vie publique ces questions d’étiquette funèbre. Un des premiers actes du pharaon, en montant sur le trône, est d’envoyer son plus affidé serviteur aux cataractes choisir la pierre de son sarcophage, le pyramidion de sa pyramide : le succès de cette expédition devient affaire d’état comme celui d’une guerre, de ce succès dépend la carrière de l’envoyé : ce sera dans la suite sa meilleure recommandation pour les plus hauts emplois. Devenu ministre et favori du souverain, il affectera comme le plus insigne de ses titres celui de prêtre du tombeau royal. Chaque pharaon a passé sa vie et consacré le plus clair de son trésor à bâtir sa pyramide; chacun a laissé la sienne, de Gizeh à Meydoun, jusqu’à la VIe dynastie inclusivement; comme s’ils voulaient, même après leur mort, peser sur la terre d’Egypte, ces durs maîtres. Autour d’eux se pressent les tombes des grands dans l’ordre hiérarchique, suivant le rang et la fortune de chacun. Les choses funèbres sont pour le riche et le puissant un luxe suprême, auquel on sacrifie de préférence à tout autre. La magnificence du sépulcre semble passer bien avant celle de la demeure mondaine pour les gens de l’ancien empire; il ne nous reste aucun de leurs palais ni de leurs temples (sauf cet antique édifice ensablé au pied du grand sphinx, mystérieux et muet comme lui, sans une indication sur ses blocs de granit de Syène, et qui n’était peut-être qu’une vaste chapelle funéraire). Tout ce monde n’étale ses richesses que là où il faut les quitter, et s’il était permis d’accoupler deux mots dont l’un rit lugubrement à l’autre, on pourrait affirmer qu’il mettait, par une bizarre recherche, toute sa vanité dans la mort. Il y a là un ordre de sentimens lointains qu’il est difficile aux hommes de notre temps de bien percevoir. Ce qui s’en dégage le plus clairement pour nous,