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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/385

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trois fois le regard du jeune homme qui la fixait avec une expression étrange. Elle était trop femme pour ne pas deviner que le marquis se laissait aller au sentiment qui l’attirait vers elle, et de son côté Loïc se sentait rapproché de Norine à mesure qu’il s’éloignait de Roberte. Si ce n’était pas de l’amour dans le sens élevé de ce mot, c’était une irritante curiosité qui le faisait constamment penser à cette femme. Quand vint ce fameux bal organisé tant à l’avance, il eut une fois de plus l’occasion de comparer Norine à Roberte. La marquise de Bramafam, sous prétexte qu’on était à la campagne, portait une robe montante, élégante, mais simple ; Norine au contraire triomphait par l’éclat même de sa splendide beauté. Les épaules nues, sans autre bijou qu’un énorme diamant tremblant dans ses cheveux sombres, elle était vraiment admirable ; il n’y eut qu’un cri lorsqu’elle parut, et, quoiqu’elle éclipsât toutes les femmes, elle fit plus de jalouses que d’envieuses.

Cette reine des bals parisiens fut d’une affabilité charmante avec tout le monde. Trois heures durant, elle accepta les invitations des plus indifférens. Vers deux heures du matin, une partie des châtelains des environs venait de partir, quand Loïc vint à son tour la prier de lui accorder une valse.

— Vous y avez mis le temps ! dit-elle avec un sourire.

— J’aurais craint d’être importun,… vous acceptiez tous les danseurs.

— Eh ! que m’importait, puisque ce n’était pas vous !

Elle prononça cette phrase avec une passion contenue qui fit tressaillir le jeune homme. Il saisit Norine dans ses bras et l’entraîna dans un rapide mouvement de valse. Il sentait contre lui ce corps souple et charmant, et il se disait que cette délicieuse créature venait de lui lancer un audacieux aveu. On pouvait les regarder ; il reconduisit Mme Chandor à son fauteuil et s’éloigna. Cinq minutes après, il la vit se diriger vers un boudoir attenant au petit salon et refuser le bras du général, qui lui offrait d’être son cavalier. Le salon était presque vide ; les invités encore présens venaient d’entrer dans la salle du souper. Loïc marcha lentement vers la porte du boudoir que Norine avait fermée derrière elle, et l’ouvrit. Mme Chandor était accoudée à la cheminée, le dos tourné, et ne pouvait le voir. Le tapis amortissait le bruit de ses pas : il s’avança vers elle, enivré. — Norine ! murmura-t-il.

Elle eut comme un mouvement d’effroi, et, fermant les yeux, elle laissa aller sa tête sur la poitrine du jeune homme ; mais ce ne fut qu’un instant : elle fit un bond en arrière, la mais étendue vers la porte. Roberte était là, défaillante, elle avait tout vu.

Ce drame intime ne dura que quelques minutes. Mme de Bramafam,