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devinait qu’il n’y avait plus à combattre que l’orgueil légitime de la jeune femme.

Les mois d’avril et de mai s’écoulèrent ainsi. Le caractère de la marquise se ressentait de ce changement. La gaîté reparaissait en elle, et elle n’avait plus de ces rêveries cruelles qui avivaient son tourment. Ne recevant plus de nouvelles, Mme Prémontré écrivit encore à Vivian ; celui-ci répondit courrier par courrier, que Loïc était parti depuis un mois pour un grand voyage dans le Caucase.

— Encore attendre ! se dit-elle.

Henriette ne se doutait pas que cette absence du marquis serait un bonheur, car il ne suffisait pas de ramener Roberte, il fallait encore que M. de Bramafam fût disposé à une réconciliation. Sa liaison avec Mme Chandor pouvait tout empêcher. Un homme ne rompt pas aisément ces chaînes, d’autant plus fortes que nul ne les a imposées. Et s’il aimait sa maîtresse ? On ne joue pas avec un amour ardent et passionné. Le marquis répondrait peut-être : « On m’a éloigné, on m’a rendu ma liberté, je ne veux pas la perdre. » Roberte n’avait-elle pas dit elle-même : Cette femme m’a pris mon mari, qu’elle le garde !…

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Quand la marquise apprit que la guerre venait d’être déclarée, sa première pensée fut pour son mari.

— Ne crains rien, répondit Henriette en lui montrant la lettre de Vivian Duvernay. Si Loïc était de retour, son ami m’aurait avertie. A quoi un savant peut-il servir dans une ville assiégée ? Il a dû quitter Paris, et rien ne l’eût empêché de nous écrire.

L’invasion durait depuis cinq mois. Il y avait juste un an que Roberte et sa tante étaient arrivées à la Birochère. L’hiver reparut sans qu’aucune nouvelle de M. de Bramafam parvînt à sa femme. Ce ne fut que dans les premiers jours du mois de novembre 1870 que Roberte apprit tout. Elle entra un matin chez sa tante, très agitée, en tenant un journal à la main ; il contenait la liste des troupes composant l’armée de la Loire : parmi elles se trouvait le régiment des mobiles de la Côte-d’Or, ayant au nombre de ses chefs de bataillon le marquis de Bramafam.

— Ah ! j’étais bien sûre qu’il ne serait pas resté loin de France en un temps pareil ! dit-elle. Les Bramafam ont toujours rempli leur devoir.

— Que comptes-tu faire ?

— Aller le rejoindre.

— Tu as raison, ma chère fille, et je t’accompagnerai.

Elle voyait son mari en danger ; cela suffisait pour qu’elle oubliât tout. Elles partirent le jour même. De la Birochère à Nantes, elles