Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous, marquise ?

Malgré sa fatigue, il mit pied à terre, et reçut la jeune femme dans ses bras.

— Où est-il ? murmura Roberte.

Le visage de M. du Halloy exprima un étonnement prodigieux. Il dit avec son sourire d’autrefois : — Il paraît que celle des deux qui n’avait rien à se rappeler est la seule qui se soit souvenue. Vous cherchez Loïc ? Ne vous épouvantez pas, il est blessé…

— Blessé !

— Est-ce que je sourirais, si c’était mortel ? Attendez un moment. Un ordre à donner, et je suis à vous.

M. du Halloy causa quelques minutes à voix basse avec l’un des officiers de son état-major ; puis prenant le bras de Roberte, il l’entraîna par un chemin de traverse du côté des ambulances.

— Bramafam s’est bien conduit ! dit le vieillard avec un intime sentiment d’orgueil. Il était de ma division. Je devais enlever le château de Villepion. Loïc, vers le milieu de l’affaire, à midi, a reçu une balle au défaut de l’épaule, il n’en mourra pas encore cette fois-ci ! Seulement, puisque ce n’est pas l’autre qui est venue, puisque c’est vous, ma nièce, vous allez me faire le plaisir de l’emmener ailleurs. Nous allons reculer cette nuit sans doute sur Mer ou Beaugency, il ne faut pas que Loïc soit fait prisonnier.

Roberte reprenait déjà courage. De tout ce que son oncle disait, elle n’avait entendu que deux choses : son mari n’était pas mortellement atteint, et il fallait qu’elle le fît sortir de ces ambulances encombrées. Une phrase l’avait remplie de joie : Mme Chandor n’était pas là. La maîtresse chérie reculait devant le devoir accompli par l’épouse délaissée ! Un chirurgien-major s’empressa de conduire son chef au lit où était couché Loïc. Roberte le regarda et tomba à genoux en jetant un cri. C’était bien lui en effet, mais pâle et presque moribond ! Le marquis dormait, et la vie semblait l’avoir abandonné ; des linges sanglans entouraient l’épaule gauche ; sa main brûlait.

— Bonne blessure, grommela le chirurgien. J’ai extrait la balle. On peut le transporter, avec des soins. Ne vous inquiétez pas, madame, il aura quelques jours de délire, une semaine peut-être, si vous le faites voyager, mais ce ne sera pas dangereux. Je vais vous donner une ordonnance, et le général s’occupera de vous procurer une voiture ; le reste vous regarde. Seulement hâtez-vous, car les ambulances déménageront cette nuit.

— Je reviens, dit tout bas M. du Halloy à sa nièce.

— Roberte était toujours à genoux, seule au chevet du blessé. Il lui sembla que Loïc s’éveillait ; elle voyait à peine le visage de son