Il la reconnaissait donc ! Roberte, très émue, ne répondit rien. Lui n’ajouta pas une parole d’excuse. Il sentait que, prononcée dans un pareil moment, c’eût été dire à la marquise : — Je me suis mal conduit, je vous ai abandonnée, je vous paie votre dévoûment ! — Pendant le reste de cette soirée, aucun mot ne fut échangé, entre les deux époux, qui eût trait à leur séparation. Il semblait que le passé n’existait point. Quand elle le quitta pour se retirer dans sa chambre, le marquis prit encore la main de sa femme et la baisa en répétant : — Merci, Roberte. — Mais avec quel accent, plein de reconnaissance et de vénération à la fois !
Le médecin lui avait dit : — Il vous faut une bonne nuit de sommeil. — Ah ! il ne dormit guère ! Le regret lui venait de n’avoir pas su se faire aimer d’une pareille femme. Il se jugeait petit à côté de tant de grandeur. Le lendemain ramena la situation pénible de la veille. De nouveau il ne fit aucune allusion au passé ; mais comme tout en lui trahissait le remords ! sa façon de parler, de regarder, même les attentions respectueuses qu’il eut pour son ange gardien. Le médecin avait permis qu’il restât assis dans un fauteuil, au coin de la fenêtre ; Roberte travaillait près de lui. Il l’examina encore, voulant l’étudier, la deviner ; devant ce visage triste et comme résigné il se découragea. Non, elle ne l’aimait pas ! Il avait laissé passer l’heure où cette froide statue aurait pu s’animer.
Malgré lui il pensait à Norine. Quand on a aimé une femme pendant un an, l’oubli ne se fait pas si vite ; mais son regard se reportait bien vite sur Mme de Bramafam. Il lui semblait qu’il ne l’avait jamais vue. Ses yeux doux et brillans, son élégance, le charme exquis qui se dégageait d’elle, tout cela était nouveau pour lui. Les jours suivans, les mêmes rapports continuèrent entre eux : Loïc se sentait de plus en plus séduit. Qui sait même si la froideur de Roberte n’aidait pas à l’entraîner vers elle ? Personne n’aurait pu prédire ce qu’il adviendrait de ce rapprochement momentané, si un événement imprévu n’avait tout à coup changé la face des choses.
Un matin on apporta une lettre à Roberte, pendant qu’elle était auprès de son mari. Elle venait du général.
« Alerte, ma chère enfant, écrivait-il, voici l’ennemi. Devinez de qui j’ai reçu la visite au quartier-général. De Mme Chandor ! Cette Hongroise prudente se sera dit que, le péril étant passé, il lui serait peut-être particulièrement agréable de revoir son amant, Savez-vous ce que j’ai fait ? Je lui ai répondu : « M. de Bramafam est à la Ferté-Imbault, près de Bourges ! » Bien entendu, je lui ai caché votre présence. Si la paix est faite entre votre mari et vous, il vous resterait toujours une arrière-pensée. Quand Loïc aura vu Mme Chandor