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m’a-t-elle dit, et elle est partie avec sa tante pour vous rejoindre. Sans elle, vous seriez mort ; maintenant il n’y a plus de danger.

Loïc ne répondit rien. Il avait peur que sa voix ne trahît sa profonde émotion. Le médecin acheva le pansement. Il déclara que la cicatrice se fermerait promptement.

— Une bonne nuit de sommeil, et demain vous aurez de l’appétit, je vous en réponds. Ah !.. j’y pense. Empêchez qu’on n’éveille Mme de Bramafam ; elle vous a soigné avec tant d’assiduité, elle a passé tant de nuits au chevet de votre lit, qu’elle est brisée ; il lui faut du repos.

Quand Loïc fut seul, il se demanda si réellement le délire l’avait quitté, s’il avait bien entendu. Quoi ! c’était Roberte qui faisait preuve d’un si admirable dévoûment ! Où était Norine ? Pourquoi n’était-ce pas elle qui le sauvait ! Ainsi l’épouse trahie témoignait plus de tendresse que la maîtresse adorée ! Il se rappela les premiers temps de son mariage, alors qu’il eût été heureux de chérir Roberte. Pourquoi n’avait-elle pas voulu ? Fallait-il croire qu’elle fût changée ? Non. C’était impossible. Il ne pouvait pas supposer que la compagne froide et réservée qu’il connaissait devînt susceptible de passion. Alors, pourquoi était-elle venue ? Lui qui ignorait les secrets du cœur de Roberte, il s’imagina que la jeune femme avait agi poussée uniquement par le sentiment de son devoir. Certes, le devoir accompli en de telles circonstances empruntait aux dangers courus une réelle grandeur ; mais enfin ce n’était pas de l’amour ! Loïc songeait à tout cela ; une immense tristesse l’envahissait lentement. Norine, dont il se croyait aimé, l’abandonnait, et il retrouvait auprès de lui Roberte, qui ne l’aimait pas. Il sentit un grand vide dans son cœur. Qu’allait-il faire désormais ? Quelles relations pourraient exister entre Mme de Bramafam et lui ? Comme l’homme, quelque élevé qu’il soit, cède toujours, ne serait-ce qu’un instant, à de perfides pensées, il se demanda si Roberte n’avait pas voulu l’obliger à lui rendre la place qui lui était due.

Mais il eut vite raison de ce mauvais mouvement, en se rappelant les paroles du médecin. Comment témoignerait-il jamais assez de reconnaissance à celle qui se souvenait qu’elle était l’épouse, à cette même heure périlleuse où Norine oubliait qu’elle était la maîtresse ? Il se rendait compte que dans son délire il avait dû appeler Mme Chandor, et Roberte avait eu le courage de répondre ! Quand il entendit la porte s’ouvrir, il fut pris d’un violent trouble. La marquise entra. Loïc regarda ce visage pâli, qui racontait tout ce qu’elle avait dû souffrir, et comme elle s’approchait du lit, il lui saisit la main.

— Merci, Roberte, dit-il doucement, presque tendrement.