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trêve de quelques heures, — le temps d’enterrer les victimes du dernier combat, — venait à suspendre les hostilités, on avait vu les officiers russes et français s’approcher, se mêler, pour échanger entre deux combats des témoignages de sympathie. Voilà six ans que les résultats politiques de cette guerre sont en partie effacés. S’ils duraient encore, vaudraient-ils tout le sang répandu? Il est consolant du moins de penser que ce sang généreux n’aura pas été stérile, qu’il aura servi d’un côté à laver la trace de longues inimitiés, que de l’autre il aura cimenté des sympathies entre les peuples. Dans ce temps où, suivant le mot d’un homme d’état étranger, « il n’y a plus d’Europe, » de pareilles sympathies valent bien les alliances politiques, et elles sont plus durables.

Voilà vingt ans, disions-nous, que la Russie travaille à remédier aux causes de sa défaite. Elle n’avait pas de voies ferrées, elle en a construit, et à l’heure présente elle possède un réseau de 19,000 kilomètres en exploitation. Dans cette grande entreprise, ni l’argent de la France ni le concours de ses ingénieurs ne lui ont manqué. Ce réseau tout stratégique se compose de deux faisceaux de lignes, l’un allant du nord-ouest au sud-est, l’autre du nord au sud-ouest; sa destination principale est de relier le nord au sud de l’empire et de porter vers la frontière maritime du sud, aussi bien que vers la frontière de l’ouest, l’effort d’une défensive rapide et énergique.

L’empire russe est prêt pour une lutte sur la Baltique, il le sera bientôt pour une lutte sur la Mer-Noire.


IV.

Au début de cette étude, on a recherché ce qu’était il y a trente ans la défense des frontières maritimes, ce qu’elle était encore dans ces derniers temps. Il y a trente ans, la commission de 1841 terminait ses travaux, et c’est alors aussi que la Note sur l’état des forces navales de la France[1] venait jeter une vive lumière sur l’avenir encore méconnu de la marine à vapeur. Chez nous, cette marine était dans l’enfance, et le réseau des voies ferrées et des communications électriques à peine ébauché n’avait pas apporté de changement bien défini dans le système défensif alors en vigueur. C’est ce système que l’on a représenté comme un réseau à mailles serrées s’étendant sur tout le littoral ; on l’a appelé le système d’éparpillement.

La vapeur, tout le monde le sait, a profondément modifié les conditions de l’attaque et de la défense des côtes ; mais, en donnant à l’attaque une liberté d’allures, une sûreté de mouvemens

  1. Note sur l’état des forces navales de la France, par le prince de Joinville ; Paris 1844.