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trait de plume? A-t-on assez abusé de ce principe des nationalités, qui sert de prétexte à toutes les ambitions et d’excuse à toutes les avidités? « Avez-vous quelque port aux eaux profondes, qui pourrait donner asile à de grandes flottes? disait un jour M. Thiers, ou bien occupez-vous la tête d’un canal qui réunirait deux grandes mers et, pour comble de malheur, vos sujets parlent-ils la même langue que celle d’un voisin puissant et ambitieux? Ah! malheur, malheur à vous! » Ces paroles n’ont été que trop justifiées par les événemens. C’est au tour de la Hollande à redouter l’agression « du voisin puissant et ambitieux, » bien qu’on n’y parle pas la même langue qu’à Berlin; mais les plumes allemandes au service du grand-chancelier, qui sont les avant-coureurs de ses menées politiques, espèce de uhlans qui précèdent les gros bataillons et leur préparent les logemens, ne sont point embarrassées pour trouver d’autres affinités, pour rattacher les pays convoités par la Prusse à l’Allemagne, et il suffit, comme on l’a vu, qu’on puisse signaler ces affinités dans une petite partie du pays menacé pour qu’on y englobe le pays tout entier. La France, qui, la première, a eu le malheur de poser les nationalités comme un principe politique, et qui en a subi les conséquences, est sans doute désillusionnée maintenant. Quant au peuple hollandais, tout prouve qu’il professe aujourd’hui pour les Prussiens l’antipathie qu’il a toujours montrée pour ceux qui ont inquiété son indépendance; mais ce sentiment n’a pas encore eu pour effet de secouer le calme de ce peuple, qui poursuit toujours, jusqu’au dernier moment, ses opérations commerciales avec une économie prudente. Il semble dire : il sera temps d’aviser à la résistance quand le moment de résister sera venu. C’est ainsi qu’il attendit tranquillement, et presque sans s’émouvoir, l’invasion préparée ouvertement par Louvois en 1672; mais toutes ses villes, emportées ou rendues presque sans coup férir, rentrèrent bientôt en sa possession, et il sut par des efforts tardifs, mais persévérans, rejeter hors de son sein les envahisseurs. À cette époque, la Hollande envoyait au-devant de l’ennemi une flotte de cent vaisseaux, commandés par l’amiral Ruyter, qui tenait tête aux marines réunies de France et d’Angleterre. Elle est bien déchue de sa puissance, mais aussi elle s’est conformée à sa fortune en renonçant à exercer dans la politique générale toute influence autre qu’une influence morale. Elle ne chercherait donc plus à faire prévaloir ses intérêts par des batailles maritimes. Elle a sagement renoncé à disputer à qui que ce soit l’empire de la mer, et son gouvernement, après en avoir fait la déclaration à haute voix devant les représentans du pays, s’est borné à la tâche modeste, mais plus sûre, de défendre le territoire, s’il était attaqué. Point de vaisseaux cuirassés, armés pour