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sans la voiler. D’après M. Belot, d’accord en ce point avec Niebuhr, il y avait primitivement à Rome, non pas deux classes, mais deux peuples entièrement distincts. D’un côté les chevaliers patriciens, descendans des anciennes familles du temps des rois, au nombre de 2,400, auxquels l’état donnait un cheval, equus publicus : de l’autre les chevaliers du second ordre, qui achetaient un cheval à leurs frais, equus privatus, et la plèbe des tribus rustiques. La chevalerie patricienne de l’equi publici devait son nom à l’antiquité de sa race; elle ne se recrutait pas, s’immobilisait dans le passé, et, comme le livre d’or du patriciat, elle s’est fermée en l’an 494 avant Jésus-Christ, pour ne se rouvrir que du temps de César. La chevalerie equi privati tenait exclusivement son titre du cens, c’est-à-dire du chiffre de sa fortune, qui était, pour l’ordre équestre, de 400,000 sesterces, soit 89,000 francs de notre monnaie. Elle s’accrut sans cesse avec la plèbe elle-même par l’annexion à la cité romaine soit de nouvelles tribus rustiques, soit de nouveaux territoires devenus quiritaires par leur incorporation à d’anciennes tribus. Cette organisation des deux classes équestres, l’une essentiellement urbaine, domiciliée dans l’enceinte sacrée du Pomœrium, et isolée dans l’antiquité de la famille, l’autre se recrutant dans toutes les villes d’Italie qui recevaient le droit de cité romaine, et se rajeunissant d’âge en âge par des intrusions nouvelles, a exercé sur les destinées de la république une influence décisive. C’est cette influence que M. Belot met pour la première fois en relief, en suivant les deux chevaleries dans les assemblées politiques. Les chevaliers equi publici avaient le droit d’auspices, ce qui leur donnait un caractère sacré; ils formaient dix-huit centuries, dont les six premières représentaient les trois cents sénateurs et les trente curies. Ces premières centuries, que l’on nommait prérogatives, votaient avant toutes les autres; leur vote, auquel les Romains attachaient une idée religieuse, décidait les suffrages des assemblées tout entières, où dans tous les cas ils étaient assurés de la majorité, puisqu’ils avaient quatre-vingt-dix-huit voix collectives sur cent quatre-vingt-treize. Ils pouvaient ainsi faire les élections sans que les classes en sous-ordre et la plèbe rustique fussent même consultées. Les choses restèrent en cet état jusqu’à l’année 241 avant Jésus-Christ. À cette date M. Belot, qui jusque-là était d’accord avec les Allemands, s’en sépare; il rend parfaitement intelligible ce qu’ils n’avaient entrevu qu’à travers un épais brouillard, ou plutôt il montre qu’ils ont fait complètement fausse route. En cette même année 241, une nouvelle constitution enleva le droit de premier vote aux six premières centuries de la chevalerie equi publici; pour l’attribuer à une centurie tirée au sort parmi la première classe des tribus rustiques, c’est-à-dire parmi les chevaliers equi privati.