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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/527

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À propos de tout elle raffine et subtilise : elle invente des façons étranges d’interpréter ses vers les plus simples, elle lui prête des intentions qu’il n’a jamais eues, et le félicite de qualités qui lui sont tout à fait étrangères. Le commentaire de Macrobe prouve qu’on en était là pour Virgile vers la fin du IVe siècle. Macrobe le regarde comme une sorte de savant universel, qui ne nous a pas laissé seulement un beau poème, mais une encyclopédie de toutes les sciences humaines. C’est un astronome et même un astrologue infaillible, c’est un archéologue accompli, c’est surtout un théologien irréprochable. N’allez pas croire qu’il se soit jamais trompé quand il rapporte quelque croyance ou décrit quelque cérémonie des plus anciennes religions : si Varron, le grand Varron, n’est pas de son avis, c’est assurément Varron qui a tort. Chacun des interlocuteurs que Macrobe fait parler dans ses dialogues des Saturnales célèbre à son tour l’un des mérites divers de Virgile, et à chaque fois l’enthousiasme ne connaît pas de bornes. Un seul de ces personnages se permet de n’être pas de l’opinion commune : Macrobe l’a introduit dans son ouvrage pour y mettre quelque variété et donner par la contradiction un peu plus de piquant à l’éloge, mais toutes les fois que ce malencontreux ennemi de Virgile prend la parole, les sourcils se froncent, les visages se rembrunissent, et quand il ose prétendre que ce grand poète n’est pas un aussi grand savant qu’on le suppose, et qu’il lui est arrivé quelquefois de se tromper, tout l’auditoire frémit d’horreur, comme s’il avait dit quelque blasphème.

Un progrès restait encore à faire dans ces exagérations ; il fut accompli au siècle suivant. Des gens qui admiraient tant Virgile, et qui étaient chrétiens, devaient être tentés de trouver qu’un si savant homme avait quelquefois choisi pour sujet de ses chants des fables bien ridicules. Ils avaient peine à comprendre la présence de cette mythologie démodée et de certains récits qui leur semblaient légers au milieu d’une œuvre aussi grave. Comme ils voulaient que tout y fût profond et qu’on y put tout admirer sans réserve et sans scrupule, ils prirent le parti d’expliquer tout par des allégories. L’allégorie était alors fort à la mode ; elle avait joué un grand rôle dans les polémiques religieuses de l’époque précédente. Quand le vieux paganisme se. sentait gêné par quelques légendes extravagantes ou immorales qu’on racontait de ses dieux, ses théologiens essayaient d’y trouver un sens allégorique qui permît de les rendre innocentes et raisonnables : c’était leur manière ordinaire de répondre aux railleries ou aux invectives des apologistes chrétiens. Le christianisme à son tour se servit du même moyen pour donner à certaines histoires de la Bible, qui pouvaient paraître naïves, une