ces montagnes ont si bonne mémoire, qu’il espère voir ce peuple secouer un jour l’odieux joug des Turcs. A Marathon, il s’écrie en nouveau Tyrtée : « Debout sur les tombeaux des Perses, je ne pouvais me croire esclave. Rendez-moi une seule âme de ce passé, et elle en créera mille autres ! » Il eut le même sentiment pour l’Italie, et l’on sait qu’à Bologne, à Ravenne, il s’affilia aux carbonari. On conçoit donc qu’à la nouvelle de l’insurrection, qui gagnait comme un incendie la presqu’île du Balkan, la Morée et l’Asie-Mineure, il dut tressaillir. A partir de ce moment, ses yeux restèrent fixés sur les Hellènes. Excédé de la vie sociale, fatigué de la littérature, rassasié de gloire, las de tout, il ne cherchait plus, semble-t-il, qu’une grande cause pour s’y dévouer et sortir en héros d’un monde qu’il avait ébloui comme poète. C’est ainsi qu’après un an de projets, d’hésitations, de luttes, il devait s’arracher aux bras de sa maîtresse et s’embarquer pour Missolonghi.
Non moins ardent, mais tout autre, était l’amour de Shelley pour la Grèce. Il n’avait pas eu le bonheur de voir cette terre admirable, encore si belle dans son dénûment, il n’avait pu s’inspirer de son soleil, de ses costumes pittoresques, de ses aventures sanglantes ou passionnées, mais il avait bu d’autant plus largement aux sources de la sagesse et de la poésie antiques. Platonicien dans l’âme, il avait traduit le Banquet; Eschyle et Sophocle étaient sa lecture favorite. Esprit philosophique et intuitif, il avait pénétré bien plus avant que Byron dans l’idéal grec. Celui-ci n’y voyait que le côté de l’histoire. Mais Shelley, devançant par l’instinct du poète les révélations de la science postérieure, pénétra au cœur de l’hellénisme en devinant le sens profond de ses symboles religieux. Son âme assoiffée de beauté lui fit comprendre que les Hellènes seuls avaient su mettre l’art dans la vie et la vie dans l’art, et cette soif lui donna la force d’embrasser la civilisation grecque dans son ensemble harmonique. Le soupir de Shelley pour la Grèce, qu’il n’avait vue qu’avec le regard visionnaire du songeur, partait donc d’un désir plus profond encore que l’indignation virile de Byron, car c’était le soupir pour la patrie perdue de l’idéal. Si l’insurrection hellénique était pour l’amant de la gloire une occasion de livrer le grand combat de la liberté, elle était pour l’amant de l’idéal comme un signe précurseur de cette régénération de l’humanité qu’il rêvait. Il respectait aussi dans la Grèce moderne le sang de ses pères et les restes d’une grandeur déchue. Dans la préface de son poème d’Hellas, qui est dédié au prince Mavrocordato, il a exprimé avec calme et justesse cette foi que les laideurs de la réalité pouvaient bien obscurcir par momens, mais non pas éteindre : « Nous assistons en ce moment, dit-il, à un fait étonnant. Les descendans de la nation