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ses initiés tirent des sons à endormir le plus sombre chagrin. » Mais dans quelles tristes circonstances a-t-il dû la rencontrer ! Il la compare à un oiseau captif « qui du fond de sa cage étroite fait retentir telle musique, qu’elle adoucirait les cœurs de ceux qui l’ont emprisonné, s’ils n’étaient pas insensibles à toute douce mélodie. Mon chant, ajoute-il, sera ta rose : ses pâles pétales sont mortes, il est vrai ; mais la fleur fanée est douce et fragrante et n’a point d’épine qui puisse blesser ton sein. — Toi qui embellis tout ce que tu regardes, je te prie d’effacer de ce triste chant tout ce qu’il renferme de mortel et d’imparfait, avec ces claires gouttes qui tombent comme une rosée sacrée des deux lumières jumelles à travers lesquelles chatoie ta douce âme. Pleure jusqu’à ce que ton chagrin devienne de l’extase, et alors souris à mon chant pour qu’il ne meure point. »

lis seront à jamais séparés ; mais qui pourrait l’empêcher de la reconnaître comme sienne ? « Emilia, je t’aime, quoique le monde blâmerait cet amour d’après son apparence. Ah ! si nous étions les jumeaux d’une même mère, ou si le nom que mon cœur a prêté à une autre pouvait devenir un lien de sœur entre elle et toi, mêlant ces deux rayons dans une seule éternité ! L’un de ces noms serait légitime et l’autre vrai ; mais quoique cher il ne saurait peindre combien au-delà de toute réserve je suis à toi. Que dis-je ? Je ne suis pas à toi, je suis une partie de toi-même. — Epouse, sœur, ange, pilote de mon destin, dont la course a été sans étoile ! Aimée trop tard, trop tôt adorée par moi ! c’est dans les champs de l’immortalité que j’aurais dû te rencontrer pour la première fois et sentir ta divine présence dans un séjour divin. » Dans le sentiment de cette parenté originaire, de cette unité immédiate qui défie les conventions et les barrières, qui se sent au-dessus du temps et de l’espace, le poète est inondé d’une force surhumaine, son imagination franchit tous les remparts, brise tous les obstacles. Il s’abandonne à l’ivresse de son rêve, au transport de sa passion. Après avoir décrit l’île perdue où il voudrait se retirer avec Emilia, il s’écrie : « Cette caverne sera pour nous un voile aussi épais que la nuit, où un sommeil tranquille clora tes yeux innocens, le sommeil, cette pluie de l’amour languissant dont les gouttes éteignent les baisers jusqu’à ce qu’ils brûlent de nouveau. Nous causerons jusqu’à ce que la mélodie de nos pensées devienne trop douce pour l’expression et qu’elle meure en paroles pour renaître en regards qui dardent leurs flèches vibrantes dans le cœur sans voix et font du silence une harmonie. Nos souffles se mêleront, nous serons un seul être, un seul esprit en deux corps. Oh ! pourquoi deux ? Une passion en deux corps jumeaux. Ainsi deux météores de flamme expansive