royaume? Ces deux alternatives souriaient également à l’ardent songeur et l’attiraient hors de la vie. Il avait commencé par nier catégoriquement l’immortalité de l’âme, mais une transformation graduelle s’était opérée à cet égard dans sa pensée. Plus il avançait, plus la vie avec ses formes, ses métamorphoses, lui apparaissait comme un voile multicolore qui cache à l’homme les dernières vérités. La mort en le déchirant ne doit-elle pas nous montrer ce qu’il recouvre? La matière, avec toutes ses apparences n’est qu’une fantasmagorie. La seule chose sûre, incontestable, n’est-ce pas cet individu qui lutte et qui souffre, cet esprit qui aspire à la vérité? Libre de l’argile terrestre, ne doit-il pas y atteindre aussi sûrement qu’un rayon de lumière lancé dans l’espace en perce les dernières profondeurs? Telle semble avoir été la foi de Shelley dans la dernière année de sa vie. S’il continuait à croire à l’immanence de Dieu dans la nature, le sentiment immédiat lui suggéra peut-être que l’âme éprise du juste et du vrai est destinée à rejoindre l’être suprême à travers une série d’existences plus parfaites. Quoi qu’il en soit, plus il sondait la vie, plus l’idée de la mort prenait à ses yeux un charme grandiose, plus il se penchait avidement sur le gouffre et l’envisageait sans terreur. Il s’était procuré un poison mortel renfermé dans une bague, non qu’il songeât au suicide, mais parce qu’il trouvait consolant de porter toujours sur lui « la clé qui ouvre les portes d’or de l’éternel repos. » — « Mon esprit est tranquille, dit-il à Trelawney, qui le questionnait à ce sujet; il n’a aucune crainte et il a quelque espérance. Dans notre état présent, nos facultés sont ceintes d’un bandeau. La mort le soulève et alors nous comprendrons finalement le grand problème. » Ce calme n’avait rien d’affecté. En toute circonstance il exposait sa vie avec une insouciance incroyable. Un jour qu’il avait manqué de se noyer, il dit à Trelawney en reprenant ses sens : « J’ai compris maintenant combien il est facile de se séparer du corps. » Ces anecdotes et une foule d’autres font croire qu’en lui l’instinct de conservation fut moins développé que chez la plupart des hommes, et très particulièrement chez les misanthropes et les pessimistes, si bien qu’un Schopenhauer a des goûts de bon vivant tout en faisant profession de bouddhisme, et qu’un Leopardi contrefait, malheureux, désespéré, ne croyant plus qu’à « l’infinie vanité du tout, » se cramponne à la vie qui lui échappe. L’âme de Shelley au contraire semble n’avoir eu que de faibles racines dans le corps. Il y a en elle une légèreté éthérée, un détachement des besoins matériels, un mépris de la mort, un courage ingénu qui lui donnent quelque chose de vraiment supérieur.
C’est au milieu de ces pensées dont il subissait la fascination et