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toutes les villes de Java; ils sont à Timor, en Australie, au Chili, au Pérou, tout le long de la côte mexicaine, et l’on sait qu’ils remplissent la Californie et sont en grand nombre au Japon. De cette façon, le plus vaste bassin maritime du globe est devenu une mer chinoise. Ni l’expansion des Juifs ni celle des Arméniens en Orient ne peuvent donner une idée suffisante de l’envahissement qui s’est accompli par lentes approches depuis vingt ans, grâce aux facilités de locomotion que procure la vapeur et aux grandes entreprises industrielles, telles que les mines australiennes et californiennes, les chemins de fer de Panama et Transcontinental, le guano du Pérou, pour lesquels on les a importés en masse dans tous ces pays. Ceux qui les premiers en sont revenus riches ont décidé les autres à partir : aujourd’hui le mouvement est établi, il ne peut aller qu’en augmentant; il constitue pour beaucoup de pays un danger sérieux. Il ne faut cependant pas oublier que le Chinois, très superstitieux, très attaché à son pays, à ses ancêtres, auprès desquels il veut reposer, ne s’expatrie généralement pas d’une manière définitive et sans esprit de retour : il conserve la plupart du temps une femme au foyer patriarcal, lui envoie de l’argent et vient la retrouver. S’il ne peut rentrer vivant, il tient du moins à être enterré sur le sol sacré de l’Empire des fleurs et y fait rapporter son corps. A San-Francisco notamment, des sociétés d’assurances sont organisées entre Chinois, où, moyennant une prime annuelle, chacun s’assure le rapatriement de son corps. La Pacific-Mail rapporte à Shanghaï de pleines cargaisons de ces lourds cercueils faits d’un arbre à peine équarri et remplis de chaux vive. Toutefois en Cochinchine, à Java, et peu à peu même dans les différentes parties de l’Amérique, ils se fixent, font souche, et par leur nombre menacent d’une grave perturbation la vie des classes laborieuses partout où ils se trouvent. Déjà le problème est posé en Amérique, et l’on discute les moyens d’arrêter l’immigration sur les côtes du Pacifique. On les accuse de drainer à l’extérieur toute la richesse du pays; mais à cela on répond avec raison que par leur travail ils laissent plus de richesse derrière eux qu’ils n’en emportent; le vrai motif de leur expulsion projetée, c’est la concurrence de prix qu’ils font à la main-d’œuvre américaine. Neuf sur dix des emplois peuvent être remplis par des Chinois, qui sont infiniment moins chers et plus appliqués que tel ouvrier irlandais ou allemand; il en résulte forcément que l’ouvrier de sang blanc se détourne de la Californie, et que cet état reste avec une population ouvrière de sang jaune et un petit nombre de patriciens; on reconstitue dans l’ouest un état chinois ou, ce qui ne plaît guère plus aux Américains, un peuple partagé en castes, une aristocratie blanche. Telle est la signification de cette formidable