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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/652

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de notre marine marchande presqu’aux confins du globe. Ce serait là la plus belle revanche à tirer de l’Allemagne, et il faudrait un peu y songer.

Il semble que toutes ces considérations, qui n’ont rien cependant d’imaginaire ou de risqué, aient échappé à l’esprit vigilant du conseil supérieur des ponts et chaussées, lequel a rejeté le projet d’un canal latéral au Rhône, si bien discuté par M. Krantz. Le conseil considère ce projet comme impraticable, d’abord à cause des difficultés matérielles qu’il présente et de la dépense énorme qu’il entraînerait, — peut-être le triple de ce qui a été calculé, — ensuite parce qu’un côté seulement des riverains serait ainsi favorisé au détriment de l’autre. On a le Rhône ; ne convient-il pas de le garder ? ne faudrait-il pas le conserver dans tous les cas ? On peut l’améliorer en l’approfondissant, en le rétrécissant, par des draguages, par des digues latérales submersibles, destinées à maintenir au courant un minimum de profondeur. On ne parle pas des barrages écluses, en usage sur tous les canaux et rivières de France, mais qui ne conviendraient pas sur un fleuve qui charrie autant de gravier que le Rhône et présente d’aussi fortes pentes. Ces barrages auraient d’ailleurs le grave inconvénient de surélever le niveau des inondations ; mais les digues latérales submersibles ont fait leurs preuves, sont reconnues suffisantes par tous les ingénieurs compétens. À quoi bon créer de toutes pièces un Rhône artificiel ? Le Rhône offre à la navigation descendante une voie plus économique qu’un canal. Ne peut-on plutôt trouver des formes nouvelles de bateaux ? L’art de la navigation et celui de la mécanique n’ont pas dit encore à ce sujet leur dernier mot. Dans tous les cas, c’est là qu’est le nœud de la question, et non ailleurs. Ainsi s’expriment le conseil supérieur des ponts et chaussées et tous les opposans au projet de M. Krantz.

Des formes nouvelles de bateaux ! Le Rhône en a vu passer plus d’une, et il peut sous ce rapport rivaliser avec la Seine. De combien d’inventions le fleuve n’a-t-il pas été le théâtre, et combien de propulseurs n’a-t-il pas servi à essayer, depuis les longs bateaux-porteurs et les grappins jusqu’à ce bateau plat qui ne jaugeait que 1 mètre d’eau, et que le capitaine Magnan, un marin qui ne doutait de rien, conduisit un jour, en 1854, du port de Lyon aux embouchures du Danube ! On voulait avec cela ravitailler économiquement notre armée de Crimée, faire même des descentes dans la Mer-Noire. Le projet plaisait à Napoléon III, qui toujours aima les choses neuves et fantastiques ; bientôt il n’en fut plus question. Il n’est resté de tous les bateaux du Rhône que ces immenses porteurs à vapeur munis de roues à palettes, longs de 115 à 150 mètres, larges de 10 à 15 mètres entre les tambours des roues, et pouvant porter