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DE LA
TRADUCTION DES POÈTES

On me montrait dernièrement un volume édité à Calcutta, où une dame anglaise, Indienne d’origine, a rassemblé des traductions en vers de poésies françaises contemporaines[1]. Tous nos poètes modernes y figurent : jeunes et vieux, les plus illustres comme les plus modestes, depuis Victor Hugo et Lamartine jusqu’aux chansonniers de Ma Normandie et de la Grâce de Dieu. Le goût qui a présidé à la composition de cet herbier poétique n’est pas toujours irréprochable; les fleurs rares et les herbes folles y sont étalées dans un ordre assez confus; mais les plantes couchées sur les pages du livre n’ont pas trop perdu de leur fraîcheur, et la plupart ont gardé le port et la physionomie qu’elles avaient sur le sol natal. Les traductions sont en général exactes, et la traductrice a reproduit assez heureusement la forme des strophes, l’entrelacement des rimes et l’allure du rhythme qui caractérisent les pièces originales. En feuilletant ce volume, où de courtes notes biographiques et critiques accompagnent chaque nom d’auteur, je constatais une fois de plus, non sans un sentiment d’humiliation, combien les étrangers connaissent notre littérature jusque dans ses recoins les plus obscurs, et combien nous sommes ignorans de la leur. Nous lisons rarement et difficilement les poètes allemands ou anglais dans le texte; nous aurions donc, plus qu’aucun autre peuple, besoin de connaître par des traductions fidèles les chefs-d’œuvre de la poésie étrangère; cependant nous manquons d’une bonne anthologie où des morceaux choisis de Byron et de Goethe, de Shelley et de Heine, de Keats, de Lenau et d’Uhland, pour ne parler que des meilleurs, seraient mis à la portée de tous et reproduits dans une forme digne de ces maîtres de la poésie lyrique.

  1. A Sheaf gleaned in French fields, by Toru Dutt, Calcutta 1876.