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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/715

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en soit là encore. La Turquie n’a qu’un moyen de sortir d’un isolement dont elle ne tarderait pas à souffrir, c’est de se montrer capable d’exercer cette indépendance qu’elle a si jalousement revendiquée, c’est de réaliser de son propre mouvement ce que la conférence lui demandait, c’est de rendre inutiles les garanties que la diplomatie réclamait.

La Porte a déjà pris d’elle-même, à ce qu’il semble, l’initiative d’une négociation directe avec la Serbie et le Monténégro pour le rétablissement de la paix dans des conditions qui respectent la situation des deux principautés : rien de mieux, c’était un des objets de la conférence. La Turquie s’est donné le luxe d’une constitution qui contient plus de droits, de libertés et de garanties qu’on ne lui en demandait. Qu’elle applique sa constitution, qu’elle réforme son administration, ses finances, son organisation judiciaire, le programme de la diplomatie se trouvera plus que réalisé. La Turquie ne doit pas s’y tromper ; elle ne peut échapper au danger des interventions qui se reproduiraient tôt ou tard, et cette fois plus impérieuses, qu’en faisant droit aux vœux légitimes de l’Europe, en se réhabilitant par la réforme des abus et des vices qui la rongent. Les Turcs sont aujourd’hui, dit-on, quelque peu gonflés de leurs succès militaires ou diplomatiques, ils seraient tout près de croire qu’ils ont fait la loi à l’Europe, qu’ils peuvent se passer de l’Occident et au besoin défier la guerre. Ce serait certes pour eux le pire des dangers s’ils se laissaient aller à cette illusion grossière, si, par une bouffée d’orgueil musulman, ils oubliaient leur vraie situation dans l’échelle de la civilisation du monde. L’instinct populaire plus ou moins surexcité peut avoir de ces chimères décevantes. Midhat-Pacha, le grand-vizir du nouveau règne, est assez clairvoyant pour comprendre la gravité de la crise où il a engagé son pays, et ce serait encore, même sous ce rapport, une manière de victoire pour la conférence si elle avait laissé après elle chez les Turcs éclairés cette impression salutaire que l’empire ottoman n’a plus désormais un instant à perdre. Pour lui comme pour l’Europe, avec ou sans la conférence, la paix est la première nécessité, et tout ce que la France pourra dans ces questions européennes, elle le fera évidemment jusqu’au bout pour la paix.

On aurait beau essayer de dénaturer le rôle de la France, on ne changerait pas la réalité manifeste des choses ; on ne ferait que prêter à rire en signalant notre pays comme dévoré du besoin de susciter des crises et de se jeter dans les aventures. La France, pour le moment, n’est pas portée aux aventures, elle ne désire ni complications extérieures, ni complications intérieures, et c’est parce qu’elle ne désire que paix et repos, parce qu’elle a l’impatient besoin du calme, que ce qui se passe par instans à Versailles, ce qui ressemble parfois à une petite et vaine agitation, répond si peu au sentiment public. Nos chambres, il est vrai, font peu de bruit à l’heure où nous sommes ; depuis qu’elles sont réunies, il y a de cela trois semaines, elles n’ont eu guère encore qu’une scène