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« Et la fleur des vallées (le muguet) semblable à la naïade si belle de jeunesse, si pâle de passion, fendit de ses clochettes lumineuses et tremblantes ses pavillons vert tendre.

« La jacinthe pourpre, blanche et bleue égrena de ses clochettes une douce sonnerie d’une musique si délicate et si intense qu’on la sentait au dedans de soi-même comme un parfum.

« La rose, comme une nymphe qui se dépouille pour le bain, découvrit la profondeur de son sein embrasé jusqu’à ce qu’elle eût dévoilé feuille à feuille à l’air voluptueux l’âme de sa beauté et de son amour.

« Et le lys pâle éleva comme une Ménade sa coupe couleur de lune, jusqu’à ce que l’étoile de feu qui est son œil aperçût à travers la claire rosée le tendre azur. »


Outre la flore brillante de toutes les zones qui abonde dans ce jardin, on y remarque l’imperceptible et modeste sensitive qui ouvre à la lumière ses feuilles en éventail. Sans fleur et sans parfum, elle ressentait plus que les autres. Elle croissait dans ce jardin comme l’âme du poète dans la nature, recevant toutes les impressions et désirant ce qu’elle n’avait pas : la beauté. Imprégnée des délices des autres, elle s’endormait le soir dans un océan de rêves sans conscience sous l’embrassement de la nuit. À ces merveilles de la végétation s’ajoutait une merveille humaine. « Il y avait une Eve dans cet Éden, une Grâce qui régnait sur ces fleurs dans leurs veilles ou leurs rêves, une dame dont la forme était le produit d’un esprit enchanteur, qui en se développant avait moulé son visage et ses mouvemens. Elle n’avait pas de compagne de race mortelle, et ses yeux sortant du sommeil semblaient dire que ses rêves étaient moins du sommeil que du paradis. » Elle marchait dans ce jardin d’un pas aérien : ses soins y entretenaient l’ordre et la beauté; elle arrosait les fleurs, en écartait les insectes dangereux, les rassemblait dans une corbeille et les jetait dans la forêt sauvage ne voulant tuer être qui vive. Aussi régnait-il entre elle et ces fleurs une sorte de sympathie. « Je ne doute pas, dit le poète, qu’elles ne sentissent les effluves qui sortaient de ses doigts embrasés pour se répandre dans toutes leurs fibres. »

Mais avant que la première feuille n’eût bruni, la jeune fille mourut. « Le quatrième jour, la plante sensitive entendit le son d’un chant funèbre et les pas des porteurs lourds et lents, des sanglots profonds et bas. Chose plus lugubre encore, une odeur froide et oppressive sortait des interstices du cercueil. Alors le jardin devint froid et repoussant comme le corps de celle qui avait été son âme, ce corps si beau encore dans son dernier sommeil, puis changé peu à peu en une masse à faire trembler ceux qui ne pleurent jamais. » C’est le signal de la destruction qui va commencer,