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guère dans une auberge espagnole. À l’appel d’un des conducteurs les prêtres se levèrent, payèrent leur quote-part et sortirent ; l’officier eut alors un soupir de satisfaction, et, comme je le regardais en face, éclatant tout à coup : « Eh bien ! oui, c’est plus fort que moi, je ne puis les voir d’aussi près, Santa Virgen ! — Chacune de ses phrases était ainsi coupée de la façon la plus bizarre par une pieuse exclamation. — Eux, les ministres de paix, ils soufflent la guerre. Madre de Dios ! voilà tantôt trois ans que je bataille de Carthagène à Saint-Sébastien et de Bilbao à Peña-Plata, j’ai croisé beaucoup de curés sur ma route ; eh bien ! vous pouvez m’en croire, je n’en ai pas rencontré un seul, pas un, m’entendez-vous ? qui ne nous souhaitât d’être écharpés par les carlistes à la prochaine occasion. Por Dios ! sommes-nous donc des chiens enragés ? Aussi moi, à mon tour, je leur ai déclaré la guerre. J’avais été élevé dans la religion tout comme un autre ; j’étais apostolique romain, señor, mais maintenant j’en suis revenu ; Maria santissima ! je suis athée, je ne veux plus croire à rien. » Le brave garçon exagérait, il n’était rien moins qu’un sceptique : il croyait encore, quoi qu’il en eût, à une foule de choses ; seulement il était en colère, et franchement il avait bien raison.

Sans parler de la Catalogne ou de l’Aragon, qui ont fourni au prétendant des volontaires par milliers, il ne manque pas de gens dans le reste de la Péninsule qui pour divers motifs abhorrent les idées libérales : les carlistes pullulent à Madrid et tout aussi bien dans le sud, à Tolède, à Séville ; mais nul terrain par nature n’était plus favorable que le pays basque pour soutenir la lutte projetée contre la révolution, nulle part non plus les populations n’étaient mieux disposées à recevoir les semences de défiance et de haine qu’on voulait y faire germer. On ne saurait croire combien dans ces montagnes la foi est restée vivace. La religion n’est pas là, comme dans les villes, affaire d’habitude, elle est la grande chose de la vie ; par suite la tolérance n’existe pas : pour peu qu’on les y poussât, ces bonnes gens renouvelleraient les massacres de juifs et d’hérétiques ; ils ont encore là-dessus les idées du moyen âge. Tel commandant de don Carlos, interné quelques mois à La Rochelle après la guerre et de retour dans ses foyers, se plaignait devant moi du temps qu’il avait séjourné en France ; sait-on ce qui l’avait choqué le plus ? C’est qu’à La Rochelle la moitié des habitans fussent protestans. « Jesu-Maria ! est-ce bien possible ? » exclamaient en chœur, en joignant les mains, les bonnes femmes qui l’écoutaient.

Un écrivain du plus haut mérite qui est en même temps un habile homme d’état, M. Canovas del Castillo, le principal auteur et le premier ministre de la restauration, dans une étude sur le pays