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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/831

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du bruit nocturne surtout! Décrochons les enseignes des bourgeois et rossons le guet. — LUCIEN : Il est gris, Dieu me pardonne! — D’ESTRIGAUD (à part) : Je l’ai grisé. »

Il y a donc à côté de l’ivresse par l’alcool une sorte d’ivresse morale qui lui ressemble et qui se manifeste par les mêmes effets : mais celle-ci s’observe plus rarement, et il n’est pas donné à tout le monde de la ressentir. Il existe une certaine classe de gens à tempérament intellectuel délicat et excitable. Ce sont des tempéramens nerveux, mais non pas tout à fait dans le sens où on l’entend en général : ils sont nerveux pour le cerveau. Le moindre événement détruit chez eux l’équilibre de la raison. La plus petite émotion, la plus légère contrariété, leur font perdre immédiatement la présence d’esprit et le sang-froid. Quand ils sont dans leur état normal, ils ne manquent ni de jugement ni de volonté, mais vienne un accident imprévu, tout disparaît subitement, volonté, jugement, réflexion, et le trouble des facultés intellectuelles équivaut au trouble que produit l’ivresse. Chez ces personnes, le plus léger accès de fièvre amène sur-le-champ du délire et de l’hypéridéation. Ils ont la tête faible, pour employer une expression souvent usitée, et s’ils ne s’observent pas avec soin, ils s’enivrent, sans s’en douter, avec une facilité déplorable qui leur a joué plus d’un méchant tour. On pourrait avec raison comparer cette prédisposition à l’état nerveux si fréquent chez la femme et connu sous le nom d’hystérie. Or les femmes, et particulièrement les hystériques, s’enivrent très facilement. La plus légère dose d’alcool suffit pour leur faire perdre la raison. C’est qu’en effet, chez les hystériques comme chez les individus prédisposés, la volonté et l’attention sont affaiblies, et il faut très peu de chose pour les faire disparaître tout à fait.

Outre la prédisposition individuelle, il est encore d’autres conditions dont il faut tenir grand compte, tant pour les différens genres d’ivresse que pour la rapidité avec laquelle l’ébriété apparaît. L’ivresse de l’eau-de-vie et des liqueurs très chargées d’alcool est lourde et pesante; elle produit à peine d’excitation intellectuelle, et semble de prime abord agir sur les fonctions organiques, la circulation et la respiration. Au contraire l’ivresse du vin est légère et stimulante, en particulier celle du vin de Champagne, et celle du vin de Bourgogne, qui se manifestent surtout par des effets psychiques. Enfin le mélange de liqueurs de diverses natures agit avec beaucoup d’intensité. La rapidité et la facilité avec lesquelles l’alcool est absorbé ne sont pas non plus sans influence. Ainsi, quand on est à jeun, l’alcool agit très vite : au contraire, pris pendant un copieux repas, il est absorbé plus lentement, et les effets toxiques sont moins à craindre. En Angleterre, où l’alcoolisme fait des ravages