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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/846

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l’action du chloroforme au cerveau, on obtient l’anesthésie; que si on fait l’opération contraire, c’est-à-dire si on limite l’action du chloroforma à la moelle épinière, en empêchant l’encéphale de subir l’action du poison, l’anesthésie sera impossible avant la mort totale des cellules nerveuses. Ainsi se trouve consacrée la distinction que nous avons établie entre les différens poisons du système nerveux : les uns agissent sur la motilité, les autres sur les fonctions organiques, d’autres enfin sur la sensibilité et l’intelligence, et le chloroforme est de ce nombre.

Plusieurs substances volatiles et toxiques agissent de la même manière que le chloroforme, et pourraient au besoin le remplacer; mais de fait c’est le chloroforme qui est le type des anesthésiques. L’éther, l’amylène, les composés chlorés du méthylène et même de l’éthylène, ont été successivement employés, mais sans grand succès, sauf peut-être pour l’éther, qui trouve encore des partisans, notamment dans les hôpitaux de Lyon. Certains gaz ont des propriétés analogues, en particulier le protoxyde d’azote. Humphry Davy, qui a découvert ce corps au commencement du siècle, avait en même temps reconnu qu’il pouvait donner lieu à une sorte d’ivresse joyeuse, et il l’avait nommé gaz hilarant. On a reconnu depuis que le protoxyde d’azote n’avait pas plus que les autres corps la propriété de donner une ivresse gaie, et que la forme du délire consécutif aux inhalations de protoxyde d’azote dépendait de l’individu même et de ses dispositions morales. On ne se sert guère du protoxyde d’azote pour les grandes opérations, et c’est surtout dans la chirurgie dentaire qu’on l’emploie, pour obtenir une anesthésie qui survient rapidement et disparaît de même.

Tout récemment un nouveau corps assez semblable au chloroforme par sa constitution chimique et par quelques propriétés physiologiques a été introduit dans la thérapeutique : je veux parler du chloral. On a essayé d’employer le chloral pour les mêmes usages que le chloroforme, c’est-à-dire pour l’anesthésie chirurgicale, mais on n’a obtenu que des résultats incomplets et peu satisfaisans. Il faut des doses énormes de chloral pour faire disparaître toute trace de sensibilité. Cependant le chloral n’est pas à dédaigner; il calme les douleurs spontanées et donne un sommeil tranquille et agréable; à certains égards, son action est analogue à celle de la morphine plutôt qu’à celle du chloroforme. Cependant il est probable que le chloral introduit dans le sang se décompose, suivant une équation chimique que M. Personne a découverte, en chloroforme et en formiate de soude; mais en somme tous les poisons de la sensibilité agissent d’une manière à peu près semblable, et il est plus facile d’en voir les analogies que les différences.


CHARLES RICHET.