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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/856

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qu’il contient tous les élémens de la grande querelle qui se poursuit entre le régime prohibitif et le régime du libre-échange. Le duel a commencé au sein de la première assemblée délibérante qui ait eu à représenter dans une même enceinte tous les intérêts de la nation; il s’est continué, il dure encore, et l’on voit aux mains des adversaires les mêmes armes. Quand on relit les discours des députés Goudard et de Boislandry, on croit avoir sous les yeux la sténographie des discours qui se prononcent aujourd’hui sur cet éternel sujet dans les académies et dans les parlemens. Et de fait, au seuil de toutes les grandes questions qui touchent à la législation moderne, on retrouve les traces lumineuses de l’assemblée constituante de 1789. Sur cette question du régime économique, elle pencha, comme elle le fit en toute occasion, vers la solution libérale. Elle ne céda point aux suggestions du comité qui devait être réputé le plus compétent, et si, après avoir supprimé les douanes intérieures, elle ne jugea point que le moment fût encore venu d’établir aux frontières la liberté des échanges, elle voulut du moins léguer à l’avenir une œuvre de progrès. Il est vrai que le tarif de 1791 paraît plus rigoureux que ne l’étaient les tarifs de 1664 et de 1667, édictés sous Colbert, et le projet de 1787, préparé par M. de Vergennes; mais il faut tenir compte de la différence des temps et des circonstances. Dans l’état de trouble où commençaient à entrer les affaires politiques, en présence des craintes occasionnées par l’effet des récens traités de commerce, et alors que les besoins financiers exigeaient la création d’impôts dont l’industrie avait à supporter une forte part, le tarif de 1791 était une œuvre libérale et courageuse. De 1815 à 1860, les partisans des franchises commerciales se bornaient à demander qu’on le remît en vigueur.

Ce tarif fut à peine appliqué. De même que le traité de 1786, il fut brusquement déchiré par la guerre. De 1793 à 1802, pour atteindre la Grande-Bretagne dans son commerce et pour lui imposer la nécessité de la paix, la convention, le directoire et le consulat rendirent décrets sur décrets contre l’introduction des marchandises anglaises, qui se virent fermer toutes nos frontières, et ces mesures d’une rigueur extrême frappaient en même temps les produits des autres nations, parce que ces produits étaient suspects d’origine britannique. En 1802, lors de la paix d’Amiens, des négociations allaient être engagées pour rétablir les relations commerciales avec l’Angleterre dans des conditions analogues à celles qui avaient été fixées par le traité de 1786. La reprise presque immédiate des hostilités (1803) ne permit pas de donner suite aux pourparlers, qui étaient à peine entamés. La lutte douanière devint plus ardente que jamais : elle aboutit au blocus continental, établi contre l’Angleterre par le décret de Berlin (1806), renforcé l’année suivante