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agitaient alors chacune de ses séances, l’assemblée nationale aurait-elle laissé passer ce projet de tarif, si les doctrines du comité du commerce n’avaient rencontré un vaillant contradicteur. Ce fut un fabricant de mousselines, M. de Boislandry, député de Paris, qui prit la défense du système libéral dans un long discours dont le souvenir mérite assurément d’être conservé, car on y rencontre non-seulement un exposé complet de la situation manufacturière de la France au début de la révolution, la réponse aux critiques dirigées contre le traité de 1786 et la démonstration des erreurs commises par le comité du commerce dans l’étude de la nouvelle loi douanière, mais encore l’affirmation complète de la théorie du libre-échange, avec une sûreté de vues et une précision de langage qui, même dans les écrits des économistes contemporains, éclairés par l’expérience, n’ont point été surpassées. « L’effet infaillible de la liberté illimitée, disait M. de Boislandry en 1790, serait de porter promptement au plus haut degré de prospérité toutes les branches de notre industrie… On m’opposera le vœu formé par plusieurs manufacturiers en faveur du système prohibitif. Ce vœu est dicté par l’ignorance ou les préjugés. Quant à l’objection tirée de la perte que l’abolition des droits causerait au trésor public, je répondrai que, tout compte fait, si l’on déduit des recettes les frais de perception, il s’agit d’une douzaine de millions à peine, qui seraient facilement retrouvés dans le grand mouvement de production et d’affaires que la liberté imprimerait au commerce, à part la certitude de prévenir les guerres qu’excitent les querelles du commerce et d’économiser les millions que ces guerres engloutiraient… Si le système de la liberté absolue ne vous paraît point praticable en ce moment, du moins repoussez les prohibitions et n’acceptez que des droits modérés. Vous n’oublierez pas que ces droits, même modérés, sont réprouvés par la raison et par les vrais principes du commerce ; qu’ils ne peuvent être excusés que par les besoins de l’état et établis que provisoirement, afin de laisser à l’opinion le temps de revenir sur ses erreurs… » Ce discours produisit une vive impression sur l’assemblée, qui décida de renvoyer la question à une nouvelle étude, confiée cette fois, non plus uniquement au comité du commerce, mais en même temps au comité des contributions, en traçant un programme d’ensemble, d’après lequel on devait réduire autant que possible le nombre des prohibitions et ne point aller au-delà du taux maximum de 20 pour 100 pour la fixation des droits.

Telle fut l’origine du tarif définitif, qui fut présenté à l’assemblée nationale et adopté par elle le 31 janvier 1791. En retraçant avec détails le récit de ce débat, M. de Butenval fait observer avec raison