Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/859

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordinaires, les fraudeurs furent déférés, dans certains cas, aux cours prévôtales. En 1817, un député proposait sérieusement de les punir par dix années de prison. La surveillance des lignes de douanes ne suffisant pas, la recherche à l’intérieur fut autorisée pour diverses catégories de marchandises prohibées, de telle sorte que, dans toute l’étendue de la France, le domicile des citoyens était, sur la moindre dénonciation, ouvert aux perquisitions de la douane. Une fois engagé dans ce système à outrance, le législateur n’avait point à reculer devant l’excès des moyens; il créa une légalité vraiment barbare, qui dérogeait aux principes généraux du droit et introduisait dans le code, où elles devaient demeurer trop longtemps inscrites, des dispositions empruntées, avec aggravation, aux procédés d’un autre âge. Vainement objectera-t-on que la loi fiscale, protégeant les intérêts du trésor public, c’est-à-dire les intérêts de la communauté tout entière, peut se montrer impitoyable contre la fraude : il y a des limites que, dans un intérêt supérieur de civilisation, il lui est interdit de franchir. Les exemples qu’elle donne réagissent sur l’ensemble de la législation. Il ne convient pas que dans ses rigueurs nécessaires elle fasse trop bon marché de la liberté des citoyens, de la sainteté du domicile. Entraînée par la passion politique, la restauration rétablit dans nos lois des principes, ou plutôt des pratiques, qui étaient absolument contraires aux sentimens de modération et aux idées de progrès que la réforme de 1780 avait inaugurés.

Il faut d’ailleurs reconnaître que cette législation excessive rencontra plus d’une fois, au sein même des chambres, de vives protestations. L’opposition, qui n’était certainement pas une opposition démocratique, fit observer que, la chambre des députés étant le produit d’électeurs qui payaient 300 francs de contribution foncière, la grande propriété abusait de sa force et prétendait s’attribuer un monopole au détriment des consommateurs, qui n’étaient pas représentés dans les conseils de la nation. Au surplus, la majorité ne dissimulait pas la pensée politique qui dictait ses votes : elle croyait sincèrement, avec l’appui du pays légal, qui se composait alors de 200,000 électeurs, reconstituer l’ancienne France et rétablir les influences héréditaires qui, avant la révolution, se groupaient autour de la royauté. Ce n’était point de sa part un calcul égoïste se proposant de rendre la fortune à quelques castes privilégiées; c’était un système qui avait pour principal objet de restaurer l’aristocratie dans l’état et de féconder de nouveau, à l’abri de cette aristocratie puissante, toutes les sources de la richesse nationale. Dans plusieurs régions de la France, la terre avait échappé au morcellement; on y comptait encore de vastes domaines, des forêts patrimoniales que la révolution avait épargnés ou qu’elle n’avait pas