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de voir son époux. « Elle s’enhardit un jour d’entrer à la salle du roy, devant la majesté duquel elle se jeta à genoux, le suppliant très ardemment, avec larmes et soupirs incroyables, que tant seulement on lui montrât une fois son seigneur et mary, et sur cela, comme elle entrait en défenses et ne se lassait d’importuner le roy, le cardinal (de Lorraine), qui de sa part craignait que sa majesté ne fust esmeue à pitié et compassion, voulant aussi montrer son animosité, chassa cette princesse fort rudement, l’appelant importune et fascheuse, et disant que, qui luy ferait droit, on la mettrait en un cul de fosse elle-même[1]. »

L’exécution devait avoir lieu le 10 décembre, devant le logis du roi, comme pour fêter l’ouverture des états-généraux. Coligny était arrivé, pressentant les dangers qui le menaçaient lui-même; il offrait ses consolations vaines à la princesse; on commençait à dresser l’échafaud où devait rouler la tête d’un Bourbon. Éléonore de Roye passait ses jours et ses nuits dans la prière. « Condé, toujours calme, écrit le duc d’Aumale, attendait patiemment son sort. Il jouait avec des officiers de garde auprès de lui lorsqu’un de ses serviteurs, auquel on avait permis de le rejoindre, feignant de s’approcher pour ramasser une carte, lui dit dans l’oreille : « Notre homme est croqué! » Maîtrisant son émotion, le prince acheva sa partie; il trouva ensuite moyen d’être un moment seul avec ce serviteur, et il apprit de lui que François II était mort. » La mort avait sa victime, et Condé était libre.


II.

Condé, en sortant de prison, partit avec sa femme pour La Fère. La princesse était malade : elle avait pris à Orléans le germe de la maladie qui devait l’emporter plus tard. A peine reposée, elle partit pour Fontainebleau, où était la cour; son mari l’y rejoignit, et bientôt son innocence fut proclamée par arrêt du conseil du roi et par arrêt du parlement. Condé était sorti de prison plus huguenot qu’il n’y était entré : il voulut avoir le prêche dans les appartemens du château. La reine-mère n’osa refuser, et le nouveau culte fut célébré à la cour même pour le prince, la princesse, la duchesse de Ferrare, Mme de Roye, Coligny et sa femme, Jeanne d’Albret; Théodore de Bèze prêchait chez Condé. « J’ai eu aujourd’hui, écrivait-il à Calvin, une réunion à la maison du prince; il y avait tant de monde qu’on y étouffait presque. » A Saint-Germain, où se porta la cour, et pendant tout le colloque de Poissy, la tolérance régna de

  1. R. de La Planche, p. 698-699.