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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/883

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escuse, faisait entendre secrètement à la princesse de Condé que c’estait la mort de son mari s’il venait à la cour. Le roy de Navarre et le prince de Condé adjoustent foy aux escrits de la main de la reyne, non aux advertissemens secrets qu’elle donnait au contraire. » Malgré les adjurations de sa femme et de Jeanne d’Albret, Condé se mit en route avec le roi de Navarre. À Limoges, il recevait une lettre de la princesse ; elle l’avertissait que les Guise voulaient le faire mourir : « Que si elle estait homme et en son lieu, elle aimerait mieux mourir en combattant l’espée au poing pour une si juste querelle, que de monter sur un eschaffaut, pour tendre le col à un bourreau sans l’avoir mérité, comme il en estait menacé[1]. » Les gentilshommes venaient de toutes parts s’offrir à Condé pour lui faire escorte. Condé les renvoyait, confiant dans la parole du roi. La princesse vint enfin elle-même, elle tenta de l’arrêter ; il la quitta éplorée, il était poussé par le destin ; trompé par les émissaires de la cour, il continua sa route avec un petit train et à petites journées. Les deux frères arrivèrent enfin à Orléans, où devaient se tenir les états, la veille de la Toussaint.

« Dès lors, écrit l’historien des princes de Condé, on jette le masque. Pas un des officiers de la couronne ne vint recevoir les princes ; aucun honneur ne leur est rendu ; les rues sont désertes, silencieuses et gardées militairement. Conformément à l’usage, Navarre se présenta à cheval devant la grande porte du logis royal : elle resta fermée. Il fallut subir l’insulte et passer à pied par le guichet, entre une double haie de gentilshommes à l’attitude insolente, » Rien ne se peut imaginer de plus dramatique que ce qui suivit : l’arrestation de Condé, obligé de rendre son épée sous les yeux même du roi, sa prison, son procès, l’inébranlable fermeté du prince, sa condamnation à mort.

Eléonore de Roye était accourue ; ses pressentimens ne l’avaient pas trompée. Quelques heures après l’arrestation de Condé, on avait arrêté la comtesse de Roye dans son château d’Anisy, en Picardie. La princesse avait appris à La Ferté-sous-Jouarre cette double arrestation. Elle part aussitôt pour Orléans ; on veut l’empêcher d’abord d’y entrer ; la reine-mère l’autorise pourtant à venir, mais elle ne peut visiter le prince dans sa prison, ni lui écrire. Elle cherche des appuis, implore la reine de France, la duchesse de Ferrare, qui venait de faire une grande entrée à Orléans et qui était belle-mère du duc de Guise, l’électeur palatin, la reine d’Angleterre. Elle confère avec les commissaires instructeurs, avec les défenseurs. La condamnation prononcée, on lui refuse encore

  1. R. de La Planche, p. 6 8-609.