Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se vend jusqu’à 100 piastres; les naturels des Philippines y attachent une valeur de convention sans limite. Ils ont aussi un goût immodéré pour les bijoux, les bagues surtout, les pierres précieuses, et ne se laissent pas tromper facilement par le clinquant et les imitations que le commerce européen essaie de faire passer chez eux. La bijouterie est un des principaux articles d’importation à Manille.

La domination espagnole est bien loin de s’étendre sur toute la population des Philippines. Sans parler des îles où elle ne s’est jamais établie et des nombreux districts indépendans de Tagals et de Bissayos, il y a des races entières qui lui échappent dans l’intérieur même de la grande île de Luçon, qui n’a jamais été explorée complètement ni par la conquête ni par la science. Le gouvernement ne fait aucun effort pour agrandir ses connaissances sur la géographie et l’ethnographie de cette belle colonie; c’est tout au plus s’il consent à délivrer des passeports aux étrangers plus curieux qui essaient de pénétrer dans ces régions nouvelles. Je dois au docteur autrichien dont j’ai parlé plus haut, M. Körbel, l’explorateur le plus hardi de cette région, des renseignemens qui peuvent se résumer ainsi. Deux races distinctes et sans parenté apparente entre elles habitent l’intérieur de Luçon, les Négritos et les Hygrotes. Les premiers, connus et classés depuis longtemps sous le nom d’Andamènes, rappellent le nègre d’Australie, placé au dernier échelon de la race noire. Petits, courts, les cheveux crépus, les membres grêles, ils errent en petites bandes dans les montagnes, n’ayant ni villages, ni maisons, ni tribus, et possédant à peine un rudiment de langage incompréhensible et d’organisation ; ils se rapprochent de cet état dit de nature qui inspirait tant de regrets à Jean-Jacques Rousseau. Armés d’arcs et de flèches empoisonnées, ils se livrent à la chasse et incendient les hautes herbes qui poussent aux flancs des montagnes, pour faciliter le développement des jeunes pousses qui attirent les daims. Ils se nourrissent aussi d’insectes, de fourmis notamment, de toute sorte de choses dégoûtantes; leur peau est couverte de dartres et de squammes ; à part la fabrication de leurs armes grossières, il n’y a chez eux aucune industrie. Ils se trouvent principalement sur la côte occidentale, et dans leurs courses approchent parfois des centres habités, mais sont assez inoffensifs.

Les Hygrotes, plus grands et plus forts que les Tagals, appartiennent à la race noire, mais au rameau papou, et se rapprochent, par leur structure, des nègres de la Nouvelle-Guinée. Peuple cultivateur et guerrier, ils vivent par tribus, toujours en guerre, retirés dans les montagnes au penchant desquelles ils font pousser le riz. Ce sont les femmes qui travaillent la terre et se livrent à toutes les opérations serviles, tandis que les hommes fortifient le camp