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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/91

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retranché. Ils ont des chevaux, des bœufs, dont ils mangent la chair. Leur façon de faire cuire le riz est particulière : dans l’entre-nœuds d’un fragment de bambou on fait une entaille, le riz est introduit dans l’ouverture ainsi pratiquée; on bouche hermétiquement le trou en rappliquant le fragment détaché, et l’on place le bambou sur le feu; le riz est cuit avant que ce fragile récipient n’ait eu le temps de se consumer. Ils habitent des maisons de bois spacieuses, car le sapin, qu’on va chercher à grands frais au Japon, se trouve ici même en abondance; il ne manque que des chemins pour l’amener jusqu’au lieu de consommation. Le gouvernement de la tribu est entre les mains du conseil des anciens, les vieilles femmes ont aussi voix au chapitre ; l’esprit de sociabilité semble très développé chez eux. Aussitôt en âge de travailler et d’apprendre, les enfans des deux sexes sont séparés de leurs parens et envoyés dans des camerias, où ils apprennent, suivant leur sexe, les différens travaux de la vie rustique ou le métier des armes. Très braves, ils sont armés de la lance et du bouclier ; leur suprême orgueil est de réunir le plus grand nombre possible de têtes coupées sur leurs ennemis; ils les laissent pourrir sur leur porte comme des trophées. Un jeune homme n’a le droit de prendre femme que lorsqu’il en possède au moins quatre ; mais dans les sauvages conditions de ce calcul, une blanche vaut deux noires. Il paraît qu’ils ont contre les Espagnols en particulier une haine profonde. Un gouverneur de province, dans une expédition, ayant été massacré avec 35 hommes, son successeur fit de vains efforts pour se faire rendre la tête du malheureux, qui se trouvait être un beau blond barbu, devenu pour son propriétaire l’objet d’un engoûment spécial, arrosé chaque jour d’huile de coco et entretenu avec mille raffinemens dans sa châsse. Ils ont un dieu du bien, qui est honoré, et un Dieu du mal, qui est battu, garroté et étranglé quand il arrive quelque malheur; le docteur Korbel en a envoyé à Vienne une statuette au quart de grandeur naturelle, qui n’est pas trop grossière. Dans les montagnes habitées par les Hygrotes on trouve le climat et la flore de l’Europe centrale; il y a une grande quantité de gisemens de cuivre et d’or que les naturels n’exploitent pas, mais dont ils connaissent parfaitement la valeur; si leur dialecte est inconnu, quelques-uns d’entre eux comprennent le tagal et font des échanges avec les Indiens de la plaine. Tout porte à croire que de grandes richesses sont enfouies là sous la garde de ces farouches pasteurs.


V.

28 avril. — Muni d’un léger bagage et d’un itinéraire que je dois à l’obligeance de mon jeune naturaliste, pourvu d’un domestique tagal