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l’eau, comme matière fertilisante et préservérante, peut seul détourner un danger sur lequel on aurait tort de fermer les yeux, car il est imminent.


I. — PROJET DE M. ARISTIDE DUMONT.

Un projet de dérivation du Rhône étudié depuis plusieurs années par M. Aristide Dumont, ingénieur en chef des ponts et chaussées, s’impose donc à l’attention publique avec un caractère d’impérieuse urgence. Après avoir été examiné et approuvé par le conseil général des ponts et chaussées, ce projet a été soumis à une enquête d’utilité publique dans les départemens de l’Isère, de la Drôme, du Vaucluse, du Gard, de l’Hérault et de l’Aude. Accueilli avec un véritable enthousiasme par les populations qu’aiguillonne l’effroi d’une détresse menaçante, il a donné lieu à la formation de vingt-quatre syndicats qui seront chargés de la répartition des eaux à la sortie du canal principal. Des souscriptions d’abonnement à l’arrosage sont déjà réalisées pour plus de 13,000 hectares. Tous les habitans du Midi pressent leurs représentans pour qu’une loi relative à ce grand travail soit promptement présentée aux chambres, qui la discuteront certainement dans le courant de la session actuelle, car déjà le conseil d’état, réuni en assemblée générale le 1er février dernier, a approuvé le projet de loi déclarant d’utilité publique le canal d’irrigation qu’il s’agit d’établir.

Certes il a fallu une calamité sans précédens, comme la destruction des vignes par le phylloxéra, pour provoquer chez les cultivateurs du Midi un tel élan vers les dépenses que nécessitera cette amélioration agricole. Il a fallu surtout un saisissement violent et soudain dans leur existence hier encore si tranquille et prospère, pour les décider à se plier à cette discipline nouvelle des associations syndicales. L’utilisation de l’eau implique essentiellement chez les usufruitiers une résignation aux dépenses productives, une harmonie et un esprit de conciliation, dont le manque trop général à la campagne est l’obstacle le plus sérieux à cette œuvre de multiplication des récoltes. Mille intérêts divers s’accordent pour la demander : les capitaux, qui trouveraient dans les canaux d’arrosage le plus sûr et le plus utile des placemens, les chemins de fer, qui sollicitent un trafic rendu plus actif par l’abondance agricole, l’état lui-même, qui ne peut corriger l’impôt ancien que par l’impôt nouveau, enfin ce peuple entier de consommateurs dont les rentes ou les salaires succombent sous le poids de la-croissante cherté des vivres. Mais les plus intéressés, les producteurs eux-mêmes, sont trop souvent les moins zélés pour ces entreprises, dont les bénéfices à venir exigent un déboursé dans le présent. Que de