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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/939

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forment des bancs d’autant plus dangereux qu’ils sont mouvans. Le second obstacle à la navigation vient de ce que le Rhône débouche dans une mer privée des courans rapides du flux et du reflux, qui entretiennent un passage toujours libre à l’entrée de la Loire, de la Seine et de la Tamise. Comme le Nil, le Pô et le Tibre, le Rhône a une embouchure formée d’un delta marécageux dans lequel il se perd par différens canaux, tous trop peu profonds pour offrir un passage assuré aux navires. Les efforts tentés afin de contenir le lit de ce fleuve et de redresser son embouchure au moyen de digues n’ont pas abouti jusqu’ici à un résultat absolument heureux, bien que dirigés avec la plus prudente attention.

L’art de l’ingénieur n’a point à exécuter d’œuvre plus difficile que cette amélioration des fleuves, parce qu’il s’y trouve aux prises avec les irrésistibles forces d’immenses masses d’eau d’une impétueuse rapidité. De semblables endiguemens ont été essayés en France sur le Rhône, la Gironde, la Loire et la Seine, en Angleterre sur la Tamise, la Tees, la Tweed, en Écosse sur la Clyde, dans les Pays-Bas sur l’Escaut et la Meuse. L’expérience a prononcé son irrécusable jugement. Excellens pour les rivières coulant avec peu de pente sur des terrains d’une nature homogène, les résultats ont été déplorables partout où il s’est trouvé une alternance de fonds affouillables et de fonds résistans. Dans ce dernier cas, au lieu de produire un dragage uniforme, les endiguemens ont aggravé l’irrégularité primitive du lit naturel, en provoquant des fosses dans les terrains désagrégeables, et en mettant en relief des hauts-fonds sur les terrains inattaquables par le courant. L’étude de ces diverses tentatives heureuses ou malheureuses permet de douter que par des digues il soit jamais possible d’approprier à la navigation et de rendre accessible par la mer un fleuve aussi rapide que le Rhône, exposé comme lui à des crues violentes, coulant comme lui sur un fond de résistance variable, et comme lui aboutissant à une mer privée des courans de marée. A la vérité, les difficultés d’accès sont atténuées par la construction d’un canal partant de la Tour Saint-Louis pour déboucher dans le golfe de Foz; mais ce travail semble condamné à l’inutilité par le mauvais état du fleuve auquel il doit servir de dégagement.

Le but à atteindre dans le plan général d’amélioration de nos voies navigables est la conquête même du transit entre l’Orient et l’Europe centrale. Nous devons faire de ces voies le prolongement naturel du canal de Suez. Un tel résultat n’est possible qu’à deux conditions expresses. Pour soutenir avantageusement la concurrence des chemins de fer étrangers, qui tendent à dévier le trafic vers les ports de l’Adriatique, il faut d’abord aux bateaux circulant dans notre réseau intérieur une capacité assez grande pour