Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rend la marche pénible. Quel bienfait alors de trouver constamment à sa portée les noix de coco, qu’un naturel va cueillir en grimpant à l’arbre, ouvre d’un coup de tranchet et vous donne à boire, encore tout humides de rosée ! C’est le matin qu’il faut s’offrir ce simple régal; dans l’après-midi, l’eau s’échauffe et n’est plus qu’une boisson insapide et malsaine.

Quelques cases annoncent un village, c’est Magdalena; le tribunal est installé dans une petite barraque gardée par un carabinero Tandis que j’y attends un cheval qui broute encore en pleine forêt, un vacarme assourdissant m’annonce le voisinage de l’école; ce sont en effet de petits moricauds qui ânonnent à tue-tête l’alphabet indigène; on ne leur enseigne pas un mot d’espagnol. De même qu’au Japon, la méthode pédagogique consiste à faire répéter le même son aux enfans criant tous ensemble. Le maître n’intervient que pour donner la note et rappeler à l’ordre les gosiers paresseux. L’attente est longue : un premier muletier, envoyé à la découverte d’une monture, ne reparaît plus; un second est lancé à sa recherche; le petit officier de village qui donne les ordres a plutôt l’air de faire une prière qu’une injonction. Tout cela est primitif et constitue pour le voyageur des difficultés pratiques, misérables sans doute, mais suffisantes pour lui donner le droit d’accuser hautement l’incurie de l’administration coloniale : il aimerait mieux moins de saluts, moins de révérences et plus de rapidité. J’enjambe enfin un misérable diminutif de cheval, et songe, en voyant mon guide en faire autant, à Don Quichotte suivi de son fidèle Sancho Pança. La route devient de plus en plus détestable, elle gravit à travers la forêt les pentes d’un volcan éteint, couvert d’une végétation luxuriante; pas d’habitations, peu de passans; nous croisons cependant toute une caravane qui se rend à Santa-Cruz. Une douzaine de chevaux de bât portent des jarres d’huile de coco; derrière eux toute une famille de Tagals, hommes et femmes, juchés à cru sur leur cheval, houspillent les retardataires et les poussent au trot sur les pentes rocailleuses. C’est un tableau tout fait, encadré à souhait pour tenter un peintre.

Un pli de la montagne, un pont d’osier au-dessus d’un torrent me font reconnaître à l’avance, d’après les descriptions qu’on m’en a faites, Mahaijay, où j’arrive épuisé par un jeûne prolongé. Je croyais être obligé de demander l’hospitalité dans le couvent, comme cela se pratique en province, mais je trouve une fonda, où déjà est installé un jeune homme fort aimable qui m’offre successivement en trois langues de partager son repas, et me rend mille services avant de savoir ni mon nom ni ma nationalité. Connaissance faite, il paraît qu’il portait l’uniforme de la landwehr tandis que je grelottais dans la capote du garde mobile, et que nous nous