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REVUE. — CHRONIQUE.

les magistrats mis en suspicion, il commet un véritable abus, il intervertit tous les pouvoirs; il introduit la politique avec tous les souvenirs du passé, les récriminations des partis, les représailles passionnées dans le domaine de la justice. On se monte réciproquement, on révise le travail des juges; on s’écrie ingénument qu’il faut des tribunaux républicains, comme si la justice devait être républicaine ou monarchique ! M. le garde des sceaux, qui ne veut pas passer pour réactionnaire, frappe des magistrats et met dans son langage plus de vivacité que tout le monde. De toutes parts on donne à une discussion inopportune la forme d’une manifestation, on a l’air de vouloir dicter des arrêts à la cour de cassation appelée à prononcer en dernier ressort. Qu’en résulte-t-il? Si la cour de cassation rendait les jugemens qu’on lui demande, elle paraîtrait se soumettre aux mouvemens passionnés d’une opinion retentissante, à une exigence de parti. Si elle prononce, comme elle l’a fait, un arrêt qu’il était facile de prévoir, qui constate simplement la légalité des fameuses commissions mixtes en réservant les droits de l’histoire, l’arrêt semble donner tort à la discussion parlementaire. M. le procureur général Renouard, qui a représenté le ministère public, s’est à coup sûr tiré très habilement, avec un sentiment aussi élevé que modéré, de cette délicate situation. Sa parole mesurée et sage a su tout concilier. On ne s’est pas moins trouvé le lendemain en face des conséquences d’une campagne si imprudemment engagée, en présence d’une sorte de conflit bruyamment provoqué; on en a été quitte alors pour signaler la magistrature comme une ennemie et pour la menacer dans son inamovibilité. Si c’est ainsi qu’on prétend travailler à l’affermissement de la république, on nous permettra de croire qu’il y a un moyen plus sûr de la servir : ce serait d’éviter autant que possible d’introduire le désordre et la confusion partout, dans les affaires de la justice, dans les rapports des pouvoirs, dans l’administration, dans les lois.

Non vraiment, un peu de maturité ne nuirait pas, dans l’intérêt de la république elle-même, à cette vaillante chambre qui ne sait pas résister à ses passions de parti dès qu’on la provoque à quelque discussion inutilement irritante ou qu’on lui propose quelque chose à détruire. Elle n’accepte pas tout assurément; elle n’en est pas encore, selon toute apparence, à sanctionner les réformes de M. Naquet sur le divorce ou de M. E. Raspail sur le mariage des prêtres. C’est une justice à lui rendre, elle n’aime guère les propositions de ce genre; mais, dès qu’il s’agit de mettre en cause toute une législation, surtout si cette législation vient de l’empire, elle n’hésite pas. Elle croit toujours avoir à se battre contre les commissions mixtes! elle va en avant, elle tranche tout d’un vote au risque de créer un véritable chaos, de laisser le gouvernement dans l’embarras et de ne plus savoir où elle en est elle-même. C’est ce qu’elle