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importés d’Angleterre se multiplient rapidement sous ce climat où l’hiver est presque inconnu. Le planteur du sud, à cheval dès le matin, parcourant son estate, dirigeant ses nombreux travailleurs, retrouve ici la vie anglaise du gentleman farmer. Il sait commander et se faire obéir. Souverain absolu de tout ce qui l’entoure, il peut donner à ses goûts, plus athlétiques qu’intellectuels, pleine satisfaction. Combats de taureaux, courses, classe, tels sont les seuls plaisirs à sa portée, et ce sont ceux que les puritains du nord ont le plus en horreur. Çà et là quelques rares églises s’élèvent dans le voisinage des plantations, mais elles sont peu fréquentées, les distances sont grandes, et les plus proches voisins s’y rendent, seuls, Pour aller d’une plantation à l’autre, il faut remonter ou descendre en bateau les grands cours d’eau, ou parcourir à cheval, par des chemins à peine tracés, de vastes espaces. La vie sociale est à peu près nulle au début, et le sentiment de l’individualité se fortifie de tout ce que perd l’instinct de sociabilité.

Dans de pareilles conditions, il est difficile de fonder et de maintenir des écoles ; aussi n’y songe-t-on guère. On va plus loin même, et ici s’accentue de plus en plus la divergence de vues. Le gouverneur anglais Berkeley, fidèle représentant des idées du temps, disait en 1700 : « Je remercie Dieu de ce qu’il n’y a en Virginie ni écoles libres ni imprimerie, et j’espère qu’il en sera de même pendant des siècles. » Bien que ce vœu n’ait pas été exaucé et que la Virginie ait occupé et occupe encore un rang distingué dans les états du sud au point de vue de l’instruction publique, les progrès ont été lents et contrariés par la tendance aristocratique qui répugne à donner aux classes inférieures une instruction dont elle sent le prix et qu’elle entend réserver à ses membres. Habitués de bonne heure au commandement, aux exercices corporels, excellens cavaliers, chasseurs infatigables, les colons du sud devaient être et furent les chefs de l’insurrection qui affranchit les colonies du joug de la mère patrie, Ils devaient être et ils furent aussi les chefs de la nouvelle république, chefs politiques et militaires, présidens, hommes d’état, officiers, L’intérêt commun, la nécessité, firent taire longtemps les dissentimens particuliers ; mais les mœurs, les idées du sud, étaient antipathiques aux habitans de la Nouvelle-Angleterre, l’esclavage, surtout leur inspirait une répulsion profonde et bien justifiée. Puis le nord était manufacturier, et le sud agricole. L’un voulait des tarifs protecteurs pour ses fabriques naissantes, l’autre était partisan du libre-échange, condition essentielle de sa prospérité. Longtemps on se fit des concessions mutuelles, on essaya de nombreux compromis, jusqu’au jour où, consciens, de leur force, sûrs du nombre et impatiens d’affirmer et d’appliquer leurs idées, les états du nord