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chambres planchéiées en sapin blanc ; je le trouvai qui m’attendait dans la première. Fort âgé, peu causeur, il m’exprima en quelques mots d’une voix chevrotante qu’il m’offrait de grand cœur l’hospitalité ; on m’apporta le café avec les fameuses confitures de roses que chaque moine fait au printemps et qui jouissent en Achaïe d’une réputation incontestée ; je vis l’higoumène donner des ordres pour qu’on eût soin de me préparer une chambre, et, après quelques complimens échangés de part et d’autre, je le quittai pour visiter ainsi successivement tous les personnages importans du monastère. Chacun me fit le même accueil ; les uns, plus curieux ou plus bavards, prolongeaient par mille questions notre conversation ; d’autres, plus graves, me parlaient de leur fortune, de leur bien-être, de l’état de Taxiarque ; quelques-uns, insoucians, ressemblaient à des gens qu’on éveille brusquement, et qui, l’esprit encore engourdi, maugréent de se voir dérangés et ne demandent qu’à se rendormir. Ce qui me frappa surtout, c’est la parfaite quiétude, la satisfaction placide qu’exprimaient les visages de tous ces êtres voués à un éternel repos. Pas une plainte, pas un regret. Chaque moine est gras, souriant ; sa vie s’écoule sans intérêt, mais sans secousse, dans une innocente torpeur : logé, nourri, vêtu, il n’a plus rien à désirer. Les révolutions du monde, les inventions nouvelles, les découvertes les plus inattendues, rien ne le trouble, rien ne l’émeut, il vit avec lui-même, occupé du seul souci d’augmenter sa fortune pour être assuré d’une existence toujours tranquille, et si quelque railleur s’avisait de vouloir faire entendre qu’il n’y a rien de beau, de grand dans la vie que l’action, il verrait chacun secouer la tête d’un air incrédule, et tous les yeux béatement entrouverts traduire pour toute réponse cette vieille maxime : « Le bonheur est le contentement de son état. »

Comme je sortais d’une chambre fort sale (où je venais de faire ma dixième visite), un beau moine noir, grand, mince, au regard clair, m’arrêta au passage et me demanda courtoisement en italien de venir chez lui. « Je suis le grammateus (secrétaire), me dit-il ; si vous voulez venir me voir, ma chambre est au-dessous de celle-ci ; je vous montrerai des livres, vous me ferez grand plaisir. » Celui-là ne ressemblait pas aux autres i d’une taille élégante, que sa longue robe dessinait à peine, il était soigné dans sa mise, son col et ses manches laissaient passer du linge blanc. Sa barbe noire, longue et soyeuse, était coquettement étalée en éventail sur la poitrine, les cheveux détachés couvraient de boucles brillantes ses épaules et son cou, et ses grands yeux franchement ouverts brillaient pleins d’intelligence, éclairant sa figure très pâle. « 

Je pourrai vous montrer le couvent, l’église, la bibliothèque,