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regret ; puis, se tournant vers moi et me lançant un regard malin, il dit ces quelques mots, qui me rappelèrent à la réalité : — J’irais,… et je reviendrais évêque.

Cette saillie me fit rire en me révélant que dans ce monastère du sommeil un ambitieux intelligent veillait.

Pendant qu’il parlait, j’avais remarqué près du lit une caisse de fer soigneusement fermée, à peu près semblable à d’autres caisses sur lesquelles j’avais vu chaque moine s’asseoir de préférence aux chaises. — Que faites-vous de cette caisse, lui demandai-je ; est-ce un coffre-fort ?

— Oui, me répondit-il avec le plus grand sérieux, c’est mon coffre-fort !

— Mais vous avez chacun le vôtre alors, car j’en ai vu de pareils dans presque toutes les chambres ?

— Cela vous étonne ; il est vrai, reprit-il, vos monastères sont loin d’être organisés comme les nôtres. Chez vous, ce sont des communautés ; ici, c’est bien différent. Vous avez déjà pu voir que chacun de nous vit chez lui, séparé des autres, — ce n’est pas un règlement qui l’ordonne : — si vous aviez visité tout le couvent, vous sauriez que plusieurs des nôtres se sont associés et demeurent en commun ; mais c’est que par-dessus tout nous tenons à conserver notre indépendance, et que la plupart d’entre nous pensent qu’on n’en jouit réellement qu’en vivant seul. Chacun en venant lui apporte sa fortune, ses biens, qu’il garde en sa possession ; le plus souvent, il achète autour du couvent des vignes qu’il fait valoir et dont il vend la récolte comme il l’entend. Quelques-uns qui sont venus pauvres ont aujourd’hui assez d’argent pour se faire construire un appartement et vivent fort à leur aise ; d’autres, qui ont fait de mauvaises affaires, sont tombés dans une situation difficile. En fait, notre couvent est une ville, une commune, si Vous aimez mieux, mais d’où les femmes sont exclues. Nous avons notre gouvernement, nous choisissons notre président, nos représentans au conseil ; chacun de nous, par des contributions, paie sa part de la dépense générale, mais quant aux bénéfices, il n’en est pas de communs, chacun vit et travaille pour soi ; on prête, on emprunte à grosse usure, on vend, on achète, et vous n’ignorez pas qu’une grande partie des raisins secs qui sont exportés d’Aigion en Angleterre vient de Taxiarque. — Cela serait bien sans doute, continuait-il, et quand le coffre-fort est plein, chacun est ainsi maître de faire ce qu’il veut, mais à quoi leur sert tout ce travail et tant d’économie ? Ils meurent comme tout le monde ; leur richesse leur échappe sans qu’ils en aient profité pour autre chose que pour se construire une chambre plus ou moins belle et s’acheter des robes