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le dawamesc, sorte de confiture nauséabonde qu’on prend avant le repas. Il y a encore le hachich qui se fume soit dans des pipes, soit dans des cigarettes : c’est celui qui est le plus usité en Orient. L’extrait aqueux se nomme hafioun et est plus actif que les deux autres préparations. Il faut à peu près quatre parties de dawamesc pour une partie de hafioun. Il est très difficile d’en savoir plus long sur la manière dont les Orientaux préparent le hachich, et on est réduit à le prendre comme ils le préparent ; mais, si on n’a que des renseignemens pharmaceutiques insuffisans sur cette substance, on en connaît beaucoup mieux les effets psychiques.

Ce n’est pas seulement d’après les renseignemens que m’a donnés M. Moreau ou d’après les remarquables observations rapportées dans son livre que je parlerai du hachich ; j’en ai moi-même pris assez souvent et à des doses différentes, j’en ai fait prendre à plusieurs de mes amis, et c’est surtout d’après mes remarques personnelles que je décrirai les propriétés de cette substance. A doses modérées, l’ébriété qu’elle donne est très agréable, très instructive pour la juste connaissance des phénomènes intellectuels, et n’a pas d’inconvéniens sérieux. Un léger trouble de la digestion, un peu de lourdeur de tête et d’excitation cérébrale, voilà tout ce qu’on a à craindre si on prend des quantités convenables soit de dawamesc, soit de hafioun.

Quand on n’est pas prévenu, les premiers effets du hachich passent inaperçus. C’est une certaine excitabilité motrice et sensitive de la moelle épinière. On sent des élancemens dans la nuque, dans le dos, dans les jambes ; des frissons parcourent le corps. On a comme des bouffées de chaleur ou de froid qui montent à la tête ; avec tout cela règne un certain bien-être qu’on ne sait à quoi attribuer, et ce même sentiment de satisfaction générale que tout le monde a éprouvé plus ou moins après l’absorption d’une certaine quantité d’alcool. Peu à peu l’excitation de la moelle épinière produit des effets plus caractéristiques. On s’agite, on se promène de long en large, on s’étire dans tous les sens ; on a envie de danser, de remuer, de soulever des poids énormes, et au milieu de cette excitation simplement musculaire l’intelligence reste calme ; mais tout d’un coup, pour un mot dit au hasard par quelque assistant, pour une remarque toute naturelle qu’on vient de faire, on est pris d’un rire presque involontaire, rire prolongé, nerveux, convulsif, qu’on ne saurait justifier, et qui semble interminable. Quand cet immense éclat de rire a cessé, on sent qu’il était ridicule ; on reprend ses sens et on comprend que, si l’on a ri ainsi, c’est que l’on vient de subir les premières atteintes du poison.

A partir de ce moment, les idées deviennent de plus en plus pressées, C’est un feu d’artifice perpétuel, une gerbe de feu qui éclate