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centigramme de morphine, c’est-à-dire une dose deux cents fois plus faible, agit d’une manière très suffisante pour provoquer des effets thérapeutiques ou physiologiques. La thébaïne ne donne pas le sommeil et excite chez les animaux des convulsions ressemblant à celles de la strychnine, tandis que la morphine, à dose égale, produit un sommeil comateux profond. Un autre point non moins remarquable dans cette action des alcaloïdes de l’opium, c’est que sur l’homme ils n’agissent pas de la même manière que sur les animaux ; c’est un fait très intéressant que Claude Bernard a mis en lumière. Ainsi l’homme est particulièrement sensible à l’action de la morphine, tandis que la thébaïne agit à peine sur son système nerveux : au contraire les animaux ne ressentent qu’à très forte dose les effets de la morphine, tandis que la thébaïne est pour eux un poison violent ; 2 grammes de morphine ne font pas mourir un chien, que 10 centigrammes de thébaïne tueraient infailliblement. On pourrait presque faire l’expérience inverse sur l’homme ; 10 centigrammes de morphine ingérés et absorbés rapidement seraient probablement mortels, tandis que 2 grammes de thébaïne auraient une action moins redoutable. En physiologie générale, cette différence de résistance aux agens toxiques est encore inexplicable. On sait que la belladone et l’atropine, qui est la substance active contenue dans cette plante, sont pour l’homme un poison terrible ; tandis que le lapin y est presque réfractaire. La même dose d’atropine qui tuerait dix personnes robustes est à peine suffisante pour tuer un lapin. Pour la morphine, cette différence est loin d’être aussi marquée ; cependant il y a antagonisme entre l’homme et les animaux, en sorte que la morphine agit surtout sur l’homme. Si donc nous nous occupons surtout de la morphine, c’est qu’elle est, pour l’homme, la principale et la plus énergique substance contenue dans l’opium : aussi décrire les effets de la morphine, c’est presque décrire les effets de l’opium, la codéine et la thébaïne étant peu abondantes et moins actives. De fait, dans la pratique médicale, on prescrit presque indifféremment la morphine et l’opium : aussi peut-on les comprendre dans une description commune.

Quand, dans le Malade imaginaire, on demande au bonhomme Argan, affublé d’un bonnet et d’une robe, pourquoi l’opium fait dormir, Argan répond naïvement : Quia habet proprietatem dormitivam. Aujourd’hui on est devenu plus exigeant, et, comme on cherche à connaître la raison des phénomènes, on a essayé de trouver la raison de la propriété dormitive de l’opium dans l’état de la circulation cérébrale. Il n’est pas certain qu’on ait encore trouvé la vraie cause, mais n’est-ce pas déjà beaucoup que de chercher, et le doute n’est-il pas le premier pas de la science ?

Chacun sait qu’il y a dans le cerveau une infinité d’artères et de