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veines, et de vaisseaux plus petits dits capillaires, qui portent à la substance nerveuse le sang envoyé par le cœur. Ces vaisseaux ne sont pas des tubes inertes ; ils ont leur activité propre, leur autonomie pour ainsi dire, en sorte qu’à certains momens ils se dilatent, et à d’autres momens se rétrécissent. Lorsqu’on fait à un chien ou à un lapin l’opération qu’autrefois on faisait si souvent sur l’homme et qu’on appelle le trépan, on voit la masse cérébrale à nu et sillonnée par de nombreux vaisseaux ; mais, selon le diamètre de ces vaisseaux, l’aspect du cerveau est tout différent ; tantôt il est violacé, boursouflé, parcouru par des vaisseaux très gros qui le recouvrent en tous sens : c’est la congestion du cerveau. Tantôt au contraire il est pâle, affaissé, revenu sur lui-même : c’est à peine si on y peut distinguer de petits ramuscules sanguins ; c’est la privation de sang ou l’anémie du cerveau., Or, par suite de dispositions anatomiques spéciales, il se trouve que la circulation de l’œil est l’image de la circulation cérébrale, de sorte que, quand le cerveau est congestionné, l’œil est congestionné aussi et réciproquement. On comprendra sans peine qu’il est bien plus facile de savoir si l’œil est congestionné que d’ouvrir le crâne pour aller reconnaître l’état de la circulation cérébrale. Il y a d’ailleurs un moyen facile de juger de l’état des vaisseaux de l’œil. Cette ouverture circulaire et contractile de l’iris, qu’on nomme la pupille, qui se rétrécit à la lumière et se dilate dans l’ombre, est toujours rétrécie quand le cerveau est congestionné, et toujours dilatée quand le cerveau est anémié, pourvu qu’on ne se place ni à une lumière éblouissante ni dans une obscurité trop profonde. On a donc songé que, puisque dans le sommeil normal comme dans le sommeil par l’opium la pupille était très rétrécie, le cerveau se trouvait congestionné dans l’un et l’autre cas, et que le sommeil était la conséquence die cette congestion cérébrale.

Malheureusement cette théorie n’est qu’une hypothèse, et bien des faits tendent à prouver qu’elle n’est pas exacte. Plusieurs physiologistes anglais, entre autres MM. Durham et Hammond, ont cru prouver par de nombreuses expériences que pendant le sommeil il y avait anémie du cerveau. Selon eux, on ne pourrait comprendre que l’afflux de sang dans un organe déterminât un repos de cet organe, et toutes les fonctions physiologiques doivent être ralenties par le ralentissement de la circulation sanguine, pour le cerveau aussi bien que pour tous les autres organes vasculaires.

Ainsi, malgré bien des travaux, on n’en est pas arrivé à juger définitivement si l’opium anémie ou congestionne le cerveau, et on n’en sait guère plus que ce qu’en savait Argan, c’est-à-dire qu’il fait dormir. Ce sommeil n’est cependant pas le même que le sommeil ordinaire, et il en diffère par quelques points. Une demi-heure