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excellente et se prête parfaitement aux conditions dramatiques ; mais, avec la scène qui lui succède, le récit de Diderot reprend toute sa supériorité sur le drame moderne pour l’éloquence, la passion et l’entente du Cœur humain. Chez M. Sardou, le marquis Des Arcis, en apprenant l’affreuse vérité, s’abandonne d’abord à un désespoir trop justifié, puis subitement il se calme, sans qu’on trouve rien dans les rares paroles de Fernande, effrayée et surprise, qui puisse motiver un si brusque rassérènement. C’est là ce qui s’appelle faire contre fortune bon cœur ; mais le spectateur admet malaisément que le mari, si perfidement mystifié, consente à l’affront qu’on a fait à son honneur avec tant de docilité. Combien Diderot est autrement dans la logique des passions et le sentiment du pathétique lorsqu’il nous représente Mlle d’Aisnon tombant aux pieds de son mari, le suppliant de la pardonner avec des torrens de larmes, et lui promettant d’être pour lui une épouse aimante et dévouée avec une éloquence qui ne peut tromper et qui est autrement convaincante que le plaidoyer de l’avocat Pomeyrol. Cette scène de désespoir devait donc avoir son complément dans une scène de supplication qui aurait ramené progressivement l’espérance dans l’âme du marquis, et le dénoûment devenait alors non-seulement véritablement heureux, mais encore pathétique, comme la situation même qui l’avait engendré.

On lit dans certains traités de rhétorique que la meilleure manière de juger un auteur est de le juger dans son propre style et à l’aide même des procédés qui lui sont familiers. Nous ne ferons donc qu’imiter M. Sardou en multipliant les observations comme il multiplie les incidens, et en revenant quelque peu sur nos pas, comme il lui arrive de reprendre si souvent quelqu’un des fils de son action que l’on croyait abandonné. La science que possède M. Sardou du tempérament du spectateur et son adresse à le ménager ne se manifestent pas moins dans le choix de ses sujets et dans la nature de son observation morale que dans la forme et la conduite de ses pièces. Ici encore l’éclectisme domine. M. Sardou n’a pas de parti-pris tranché ni d’opinion nettement résolue sur la nature humaine ; ne lui demandez ni la franchise d’indignation d’Emile Augier, ni la misanthropie implacable de Dumas, ni le scepticisme railleur, mais optimiste au fond, de Scribe. Sans parti-pris décidé, que devient cependant la devisé de la comédie : Castigat ridendo mores ? Une comédie qui ne flagelle pas quelqu’un ou quelque chose, est-ce bien une comédie ? Le spectateur, qui n’aime pas les exécutions trop cruelles et qui regimbe volontiers devant elles, veut cependant qu’on flagelle ou plutôt qu’on fustige à peu près jusqu’au premier sang. M. Sardou le sait, et il n’a garde de se refuser à cette exigence, il fustige donc, et d’une manière très