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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/237

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lui opposeront, elle les vaincra par les armes : soit, nous admettons tout ; mais qui ne voit que la Russie n’aura ni délégation ni consentement de l’Europe pour une intervention, que le danger n’est que déplacé ou localisé, qu’il reste toujours menaçant sous une autre forme ? C’est l’imprévu qui commence pour l’Orient comme pour l’Occident. La Russie est-elle maîtresse des événemens dont son entrée en campagne pourra devenir le signal ? Si elle cède à la fascination de la victoire, si elle s’avance au-delà de ce qu’elle prévoit elle-même, nécessairement tout est ébranlé, toutes les politiques sont dans l’inquiétude si ce n’est sous les armes, la paix est à la merci d’un incident. Si la Russie s’arrête spontanément après ses premiers succès, si elle se borne à quelque traité imposé par la victoire, à des réformes et des garanties souscrites par des vaincus, elle aura risqué beaucoup, elle aura sacrifié des vies humaines et de l’argent pour ne recueillir que des fruits médiocres, tout au moins disproportionnés avec l’effort qu’elle aura fait. Elle aura exposé la paix européenne : en quoi une campagne heureuse couronnée par une victoire d’orgueil militaire, payée de quelques avantages personnels, aura-t-elle réformé l’administration ottomane et assuré d’une manière efficace la condition des chrétiens ? La Russie se trouvera dans l’alternative de laisser une œuvre inachevée en se retirant après ses succès ou d’être conduite à des occupations indéfinies qui raviveront tous les périls. Ici encore le double but qu’on se propose n’est point certainement atteint. Ce n’est pas une solution. La Russie elle-même en y réfléchissant comprendra qu’une coercition exercée par elle seule sous l’œil d’une Europe inquiète et défiante ne peut la conduire qu’à un résultat douteux ou périlleux.

Il n’y a donc, à l’heure sans doute décisive où nous sommes, qu’une combinaison possible, rassurante, faite pour concilier tous les intérêts, le maintien de l’accord établi à Constantinople, l’intervention ou, si l’on veut, la coercition morale persévérante, poursuivie avec toute l’autorité d’une action collective. C’est uniquement cette action morale que la diplomatie travaille maintenant à organiser dans ses négociations avec Saint-Pétersbourg, car c’est à Saint-Pétersbourg que tout doit visiblement se décider, et, avant de répondre officiellement à la circulaire du prince Gortchakof, les cabinets ont voulu, selon toute apparence, préparer la solution qui sera adoptée en commun. La Russie est heureusement dans des conditions où elle peut prendre un parti en toute liberté. Malgré une imposante démonstration de puissance militaire, elle n’est point engagée, elle n’a point à craindre de paraître reculer, elle n’a essuyé aucun échec personnel ; elle a confondu sa politique avec celle des autres puissances, et eût-elle à tempérer ou à diminuer ses armemens dans une situation nouvelle, elle ne le ferait que de son propre mouvement, dans le sentiment de sa force, pour rester dans les limites d’un système d’action concerté par l’Europe. S’il y a quelque satisfaction à