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européenne. Évidemment, pour rester dans le programme, la première condition est de ne pas se méprendre, de savoir ce qu’on veut et ce qu’on doit éviter, jusqu’où l’on peut aller ensemble.

En réalité, il n’y a pas mille moyens, il n’y en a que deux, coercition matérielle à l’égard de l’empire ottoman on une intervention morale fortement organisée, incessamment active, pesant sur la Turquie de tout le poids de l’Europe. La coercition, c’est la guerre. Il y a longtemps que, dans des circonstances analogues, toujours à propos de l’empire ottoman, le prince de Metternich écrivait : « tout ce qu’à Saint-Pétersbourg, on s’est plu dans ces derniers temps à désigner sous le nom illusoire de mesures coercitives à employer contre les turcs n’est, au jugement de notre cour, que la guerre. » Et cette coercition qui est la guerre, comment s’exercera-t-elle ? Si elle prend la forme d’une intervention collective de l’Europe, il n’y a pas à s’y tromper, c’est la question d’Orient dans toute sa gravité ; c’est le commencement du partage, c’est l’impossibilité de s’entendre à un moment donné, c’est la confusion inévitable, et, par la fatalité d’une fausse politique, on aurait compromis pour longtemps la paix européenne sans avoir amélioré le sort des populations chrétiennes. Alors éclaterait au milieu de tous les conflits la vérité de ces paroles de lord Wellington, dont les politiques anglais ont si souvent reproduit le sens, que M. Gatborne Hardy citait dans la chambre des communes en les empruntant aux dépêches du vieux duc récemment publiées : « L’empire ottoman existe, non pour le bénéfice des tares, mais de l’Europe, non pour conserver les mahométans au pouvoir, mais pour sauver les chrétiens d’une guerre dont ni l’objet ne pourrait être défini, ni l’étendue prévue, ni la durée calculée… » L’intervention commencerait par la bonne intelligence, par la paix entre les puissances, c’est possible, quoique difficile à admettre ; elle finirait fatalement par placer en présence tous les intérêts, même, si l’on veut, toutes les ambitions, sur un terrain contesté, dans des provinces dont il y aurait à disposer, autour d’une question qui resterait plus que jamais livrée à tous les hasards, qui réveillerait bien d’autres questions.

Est-ce par l’intervention de la Russie seule, avec la délégation ou le consentement tacite de l’Europe, que la coercition pourrait s’exercer utilement ? La Russie n’a point encore visiblement renoncé à cette politique ; elle garde cette pensée et elle s’est mise en mesure de l’exécuter. Depuis quelques mois, elle a fait un effort considérable, coûteux, onéreux à ses finances, à son industrie et à son commerce, pour rassembler une armée nombreuse en Asie et sur les frontières du Pruth. Si cette armée n’a pas reçu le signal du départ à jour et à heure fixes, comme on le dit légèrement, elle peut entrer en campagne. Si elle rencontre des difficultés, elle les surmontera. Les résistances que les turcs