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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/241

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fait dans son poste de gouverneur militaire de Paris un rôle assez considérable pour que sa destitution fût une crise des plus graves et devînt comme un signe des événemens prochains. Ni Changarnier, ni Cavaignac, ni bien d’autres ne pouvaient arrêter le torrent des choses. L’honneur de ces vaillans soldats engagés dans des camps politiques différens avait été de disparaître ensemble avec les libertés du pays et de supporter avec dignité la mauvaise fortune. Exilé par le coup d’état de décembre 1851, rentré en France vers 1859, le général Changarnier n’avait rien fait pour adoucir les rigueurs et moins encore pour retrouver les faveurs de l’empire. Un jour seulement, aux approches de la guerre de 1870, il avait senti se réveiller son ardeur militaire ; il avait tout oublié et il était accouru à Paris pour redemander une place dans cette armée qui allait combattre. Il avait été poliment évincé ; aux premiers désastres, malgré les refus officiels, il n’avait point hésité à partir pour Metz, et, sans y être obligé, à soixante-dix-huit ans, il avait tenu à partager jusqu’au bout les épreuves, le malheur de cette armée victime de l’incapacité et des intrigues d’une coupable ambition.

Lorsqu’à la fin de la guerre il avait été envoyé par quatre départemens à cette assemblée souveraine de Bordeaux et de Versailles chargée d’arracher la France au gouffre où elle menaçait de disparaître, il s’était flatté peut-être de reprendre un rôle politique comme en 1849. Il avait ses illusions et une certaine confiance en lui-même que l’âge ne décourageait pas. Il s’est mépris sans doute sur ce qu’il pouvait et sur ce que les circonstances permettaient. C’était sa faiblesse : il n’est pas moins resté pour tous, dans le nouveau sénat comme dans la dernière assemblée, l’homme illustré par d’anciens services, dévoué avant tout au pays, préoccupé, au milieu des luttes politiques, de la réorganisation militaire de la France, et portant dans l’étude de ces questions le sentiment du devoir inviolable du soldat. Il représentait la vieille armée devant notre jeune armée, et il a eu en toute justice ses obsèques de vétéran aux Invalides avant d’aller reposer dans sa terre natale d’Autun. Par ces funérailles exceptionnelles, auxquelles ont assisté M. le maréchal de Mac-Mahon et les principaux ministres, on a voulu honorer le vieux capitaine devenu par surcroît un sénateur inamovible de la république ; on a eu raison. Et maintenant c’est au sénat, puisque le sénat est le grand électeur des inamovibles, de donner au général Changarnier on successeur qui soit un allié de plus pour la bonne politique, pour la politique modérée et prudente dont la France a besoin plus que jamais.

Ce serait sans doute s’exposer à des confusions ou prendre des mirages pour des réalités que de chercher trop d’analogie entre ce qui se passe à Versailles et ce qui se passe à Rome. Toujours est-il cependant que le ministère italien, avec son parlement aux couleurs ardentes, avec sa majorité de gauche, se trouve dans une situation qui n’est point sans