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cette année décisive. Ces révélations saisissantes ont eu le don de provoquer de la part de M. de Bismarck des déchaînemens de colère, et par contre-coup elles ont pu créer des embarras au cabinet italien, qui s’est trouvé exposé aux récriminations, aux réclamations impérieuses du chancelier allemand. Comment se tirer de là ? Le cabinet italien de 1873, cela va sans dire, a désavoué et désapprouvé le grand coupable, le livre révélateur ; mais il ne s’en est pas tenu à cette désapprobation toute naturelle, il a fait inscrire dans un nouveau code pénal soumis encore à la chambre des députés de Rome un article qui punit d’une façon spéciale les divulgations de papiers d’état et qui ressemble à une satisfaction promise au tout-puissant ministre de l’Allemagne. Voilà justement l’origine de ce livre nouveau où le général de La Marmora relève le défi et accepte la lutte sur tous les points, sur les accusations dont il a été l’objet en Allemagne, sur le désaveu qui lui a été infligé par le cabinet de Rome, sur l’article du code pénal nouveau dont ses révélations ont été l’occasion. Contre les restrictions nouvelles offertes aux ressentimens allemands, l’illustre vétéran de l’indépendance italienne s’arme de toutes les garanties constitutionnelles, du principe de la responsabilité ministérielle, qui implique pour les ministres le droit de se défendre, de la dignité nationale offensée par un article du code pénal qui ne serait qu’une concession à une influence étrangère, et chemin faisant il a encore plus d’une anecdote piquante.

Assurément, par l’extension qu’il donne au droit de divulguer les mystères de la diplomatie, le général de La Marmora soulève des questions délicates que nous voudrions réserver. Ce droit, dans sa pensée, a sans doute des limites, et ne peut s’exercer que sur des faits accomplis ; mais à quel moment ces faits sont-ils accomplis ? Jusqu’à quel point les divulgations trop promptes ou trop complètes sont-elles ou ne sont-elles pas de nature à réagir sur les relations entre les gouvernemens, sur les événemens qui se succèdent et s’enchevêtrent ? Évidemment il y a une mesure qui peut se resserrer ou s’élargir selon les circonstances, surtout selon la situation d’un pays. Cela dit, il y a dans ces pages un tel accent d’honnêteté et de libéralisme, une si généreuse confiance dans la vertu de la publicité, qu’on ne peut avoir que du respect pour cet ancien président du conseil qui, après tout, dans son dernier livre comme dans le premier, n’a fait que se défendre contre les diffamations allemandes en disant : voilà la vérité ! voilà ce qui s’est passé à Berlin, à Florence, à Paris.

Chose curieuse cependant, le général de La Marmora a eu longtemps la fortune d’être attaqué ou raillé dans son pays pour ses préférences prussiennes ; on l’appelait prussomane comme on appelait Cavour anglomane. C’est lui qui a noué l’alliance de l’Italie et de la Prusse en 1866, et qui, à un moment donné, même pour la cession de la Vénétie, a refusé de se dégager vis-à-vis de Berlin, sous prétexte que c’était