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depuis vingt ans quelle progéniture : en 1857 se publie à Turin un ouvrage de Domenico Cerri, Borgia ossia Alessandro VI e i suoi contemporanei ; deux ans plus tard paraissent à Milan les lettres de Lucrèce à Bembo. Cependant le marquis Giuseppe Campori di Modena imprime en 1866, dans la Nuova Antologia, une étude sommaire intitulée : Una vittima della storia ; en 1867, monsignor Antonelli, de Ferrare, donne ses Memorie storiche ou Lucrezia Borgia in Ferrara, et le signor Giovanni Zucchetti, de Mantoue, écrit en 1869 sa Lucrezia Borgia, duchessa di Ferrara. Et l’ouvrage du chevalier Cittadella, que j’allais oublier, homme de tant d’érudition, guide sûr et diligent à travers l’histoire et les monumens de son pays : Saggio di albero genealogico e di memorie sulla famiglia Borgia specialmente in relazione a Ferrara. A ne parler que de l’Italie, le terrain était, on le voit, préparé à souhait, et c’eût été bien telle aventure si de tout cet humus historique un dotto tedesco, aussi subtil et profond que l’illustrissimo Ferdinando Gregorovius che da tanti anni dimora in Italia, n’eût pas tiré quelque important produit.

On s’imagine avoir tout fait quand on s’est écrié : Reportons-nous au temps où de telles choses s’accomplissaient, à ces temps où chaque pape marchait environné de ses concubines et de ses bâtards, où Paul III absolvait, bénissait de sa main sacrée un Pier Luigi Farnèse coupable de plus d’infamies que n’en concevrait à notre époque le dernier repris de justice, où Léon X, livrant à des histrions le Vatican, se gaudissait au milieu d’un ramas de courtisans et de courtisanes, aux mille obscénités des comédies de Machiavel. Comme si l’exemple de pareilles mœurs, capables tout au plus de rendre la postérité moins sévère envers de graves défaillances, pouvait jamais aller jusqu’à diminuer l’horreur de certains crimes qui n’ont pas de nom, et dont la flétrissure reste empreinte au front de madame Lucrèce en dépit de toutes les eaux lustrales et de tous les parfums d’Arabie qu’on répand sur elle. Qu’ils expliquent donc, ces virtuoses d’une bien tardive réhabilitation, qu’ils expliquent la répugnance et le dégoût qui firent tressaillir l’antique et loyale maison d’Este aux approches du jour où la fille incestueuse des Borgia en devait franchir le seuil. Ni le duc Hercule, ni son fils Alfonse ne voulaient consentir à cette dégradante alliance. Ils refusèrent d’abord et bataillèrent, puis l’avarice aidée de la raison d’état finit par l’emporter. On accepta, mais en rougissant et la conscience pleine et résonnante des atroces dénonciations de Jean Sforza, seigneur de Pesaro, l’époux sortant ! Soyons justes et rendons à ces avocats d’une cause détestable la part de succès qui leur revient. A quoi tant d’efforts ont réussi, je