Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’endroit d’un écrit apologétique de M. Cappelletti[1], lequel à son tour ne contient rien qui ne soit dans Grégorovius. A vrai dire, ce serait même là moins un livre qu’une manière de conférence sur Lucrèce Borgia, inspirée par l’ouvrage dell’ illustre Grégorovius, et très agréablement assaisonnée d’une pointe de pittoresque. L’auteur parcourt l’Italie en évoquant sur sa route les souvenirs mélancoliques du passé. Arrivé à la station de Ferrare, il visite l’hôpital de Sainte-Anne, donne un pleur à l’infortuné poète qui l’habita, puis se rend au palais des ducs d’Este, non sans avoir, chemin faisant, semé quelques lieux-communs sur les misères du temps et la décadence d’une cité jadis si renommée entre les capitales des états italiens et désormais réduite au plus lamentable abandon.

Cadono le città, cadono i regni,
Còpre i fasti e le pompe arena ed erba ;


comme chantait ce pauvre Tasse dont il vient d’inventorier la prison. Après quelques momens consacrés à la description du Castello et des fresques qui le décorent, — les unes attribuées à Titien, les autres de Dosso Dossi, — l’auteur se transporte au Palazzo dit dei Diamanti, jadis la demeure ordinaire de ce cardinal Hippolyte, abominable par ses crimes, qui n’ont pour circonstances atténuantes que ses bons rapports avec l’Arioste. « Arrivé à l’étage supérieur, je parcourus les salles qu’habitèrent l’Arioste et son Mécène, et ce fut alors comme si je les voyais assis là vis-à-vis l’un de l’autre, et comme si j’entendais le cardinal dire à son protégé : Messer Ludovico, e dove diavolo avete trovate tutte queste corbellerie[2] ? Ce palais renferme en outre une splendide galerie où parmi des peintures de maîtres ferrarais, — des Garofalo, des Costa, des Dossi, des Lana, des Galassi, — se rencontrent des chefs-d’œuvre des écoles de Bologne et de Venise, — des Augustin Carrache, des Guerchin, des Carpaccio, etc. Enfin mon attention se fixa sur un certain cadre longuement décrit par le marquis Gherardo Bevilacqua Aldobrandini, et représentant l’arrivée à Ferrare de Lucrèce Borgia, épouse d’Alphonse Ier, 5 février 1502. » Ce fameux cadre ayant mis en goût le touriste, l’ouvrage de M. Grégorovius fit le reste, et la littérature sur les Borgia, déjà si copieuse, s’enrichit d’un volume de plus. Des gros livres sortent les petits en attendant que les petits, à leur tour, fassent souche : ite et mulliplicamini. Voyez plutôt

  1. Lucrezia Borgia e la storia, per Licurgo Cappelletti, Pisa, 1876.
  2. Un mot de simple observation à ce sujet : Arioste, le plus joyeux, le plus gaillard des poètes, naît à Ferrare, l’endroit du monde le plus terne et le plus monotone. Fiez-vous donc à la théorie des milieux ! C’est qu’il n’y a rien de plus imprévu que le talent, et il ne serait pas le talent s’il n’était imprévu.