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« Les colonnes s’écroulent, et les ours se gorgent. Prendre d’abord Préneste, puis Tagliacozzo pour ses chers siens, c’est le début.

« L’un décapité, l’autre étranglé, gisent en Romagne, dans les Marches ; lui triomphe, rouge du sang des chrétiens.

« Il donne l’Italie en proie à l’Espagnol, au Français, libres d’agir à leur guise aussi loin qu’il reste un lopin de territoire à conquérir pour sa race de bâtards !

« Pleuvent ensuite les excommunications, et sur l’atroce Mars crève en même temps la nuée des indulgences, car il faut bien pourvoir à la paie des Suisses et des Allemands ! »


L’église avait reçu un choc, et sans être atteinte dans sa vie même, qui ne saurait périr, elle pouvait faire son deuil de tout un ordre d’idées mystiques se rattachant à la papauté. Quant aux Borgia, du coup s’écroulait la maison, et Lucrèce, après quelques larmes pieuses données à ce père cause à la fois de son abaissement moral et du rang souverain qu’elle occupait, — Lucrèce n’eut qu’à se féliciter d’avoir troqué à temps son nom de famille contre le titre de duchesse de Ferrare. A Rome, en Italie, les affaires allaient mal : l’espèce de royaume que César s’était bâclé de fraude et de rapine, se démembrait à vue d’œil. A peine à ce flibustier restait-il encore la Romagne. Tous les tyrans naguère dépossédés par lui rentraient dans leurs états en triomphateurs. Jean Sforza revenait de Mantoue à Pérouse, Guidobaldo de Venise à Urbin, César, tout valétudinaire, l’esprit troublé, accourt à Nepi se mettre sous la protection des troupes françaises. L’élection de son ami le cardinal d’Amboise l’aiderait à déjouer le mauvais sort ; mais le cardinal a renoncé, et c’est Piccolomini qui, sous le nom de Pie III, ceint la tiare. Celui-là n’a pas moins de douze enfans, filles et garçons : autant d’altesses à doter. Heureusement la mort le guette au seuil du Vatican et coupe court aux apanages. Pie III permet à César de rentrer à Rome, lui, Vannozza, son frère et ses neveux, le loup, la louve et les louveteaux, — qui dit Borgia, dit famille unie. Mais aussitôt les Orsini se lèvent, menaçans, terribles, et voilà toute la tribu contrainte à se réfugier dans le fort Saint-Ange. Monté au trône pontifical le 22 septembre. Pie III en descend le 18 octobre ; place maintenant à Jules III Ces Rovere, ces Borgia, ces Médicis sont les dynastes de la papauté moderne. Chacune de ces maisons fournit deux papes à l’histoire, et vous n’en trouverez point dont les noms soient plus mêlés à la politique. Les Rovere haïssaient les Borgia ; Jules II saisissant le pouvoir, c’en était fait de César et de sa fortune. A dater de ce jour, son roman n’est plus qu’une suite d’aventures misérables, où le héros n’a d’autre soin