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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/327

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d’état ne les eût prises au sérieux. On inclinait plutôt à penser que Marie-Christine, en tenant ce langage, agissait d’accord avec le roi Louis-Philippe ; pour la reine douairière d’Espagne et pour le roi des Français, unis d’une si cordiale amitié, c’était un moyen de pénétrer les sentimens de l’Angleterre, de voir clair dans son jeu, de lui dérober son secret, s’il y en avait un.

Il n’y avait pas de secret, Stockmar l’affirme. Vers la fin du mois d’août 1841, lord Palmerston, avant de quitter la direction du foreign office ? avait déclaré que le jeune prince Léopold de Saxe-Cobourg (le duc héritier était déjà hors de cause) ne pouvait être le candidat de l’Angleterre ; il tenait de trop près au duc de Nemours, qui avait épousé sa sœur[1], et ce motif suffisait, dit Stockmar, pour que la reine Victoria ne fût point favorable au projet en question. Quant à lord Aberdeen, qui succéda bientôt à lord Palmerston comme ministre des affaires étrangères (août 1841), n’a-t-il pas toujours travaillé loyalement au maintien de l’entente cordiale entre l’Angleterre et la France ? On ne saurait donc le soupçonner d’avoir accueilli à cette date la candidature, sérieuse ou non, du prince Léopold, encore moins de l’avoir suscitée.

Ces détails sont nécessaires à la clarté de notre récit. On verra tout à l’heure qu’une des questions capitales du procès se résume en ces termes : L’Angleterre a-t-elle voulu, oui ou non, contrarier le principe établi par la France et faire asseoir sur le trône d’Espagne un prince étranger à la maison de Bourbon ? M. Guizot a répété souvent : « Nous ne voulons pas être dupes. » — « Nous sommes traités en dupes, » ont répété souvent les hommes d’état de l’Angleterre ; si bien qu’en présence des récits anglais et français, au milieu de ces plaintes contradictoires, dans ce feu croisé de récriminations amères, on est obligé de se demander de quel côté est la vérité, de quel côté le mensonge ? Or, c’est précisément la personne du prince Léopold qui a soulevé ces débats, c’est la candidature du prince Léopold qui, suscitée d’une façon peu loyale ou redoutée d’une façon peu sincère, a précipité les choses, amené un brusque dénoûment, compromis pour longtemps l’amitié de deux grands états, et contribué peut-être, quoique d’une façon indirecte, à la catastrophe du 24 février 1848. Encore une fois, qui a tort ici, de l’Angleterre ou de la France ? Des deux gouvernemens, lequel a trompé l’autre ? That is the question.

Il paraît difficile de ne pas ajouter foi aux paroles de Stockmar lorsqu’il affirme sur bonnes preuves que cette candidature du prince Léopold n’éveilla d’abord aucune sympathie parmi les hommes

  1. C’est le 27 avril 1840 que la princesse Victoire de Saxe-Cobourg-Gotha avait été mariée à Louis d’Orléans, le duc de Nemours.