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14 septembre. Le 18, le sénat avait voté à l’unanimité une adresse de félicitation à la reine sur l’un et l’autre mariage ; le 19, le congrès des députés, par 159 voix contre une seule, adressa l’expression des mêmes sentiments à la reine Isabelle. Les deux mariages étaient consacrés d’avance par l’assentiment loyal et libre des représentans du pays.

Après ce vote comme avant, sir Henry Bulwer continua la lutte. Il était de ceux qui ne quittent pas le champ de bataille tant qu’il y a encore une cartouche à brûler. L’Angleterre se résignait bien au mariage de la reine avec le duc de Cadix, elle n’admettait pas le mariage de l’infante avec le duc de Montpensier. C’était une atteinte à l’équilibre de l’Europe, un moyen d’assurer un jour le trône d’Espagne à un fils du roi Louis-Philippe. Les ministres de la reine savaient-ils bien à quels dangers ils exposaient leur pays ? Bulwer, pressant et menaçant, variait ce thème sur tous les tons. Si ce n’était pas assez de la parole, l’action y suppléait : un jour, il envoyait une note au ministère espagnol ; le lendemain il expédiait des courriers aux vaisseaux anglais de Gibraltar ; il voulait frapper les imaginations, faire croire à tous que c’était la guerre, la guerre imminente. Le 23 septembre, pour couronner son œuvre, il remit au chef du cabinet de Madrid non pas une note de sa main, mais une protestation expresse de lord Palmerston. Au nom de l’équilibre européen, au nom de l’indépendance de l’Espagne, au nom des services rendus par l’Angleterre, le chef du foreign office protestait contre le projet de marier l’infante avec le duc de Montpensier et témoignait l’espoir que le gouvernement espagnol ne persévérerait pas dans ce dessein.

C’était trop. Il n’est pas dans le caractère espagnol de céder à de telles sommations. La France aussi se trouvait plus dégagée que jamais, les scrupules n’étaient plus de mise. M. Isturitz répondit comme il devait répondre. En face des protestations du ministère whig, il fit apparaître la volonté de la reine, l’approbation de la reine-mère, l’assentiment des ministres, les félicitations des cortès. Le double mariage devait se faire prochainement et le même jour. Il n’y avait plus lieu de maintenir la formule autant que possible ; lord Palmerston venait de l’effacer.

Aussi, quelques jours après, le 28 septembre, le duc de Montpensier partit de Paris pour Madrid, le duc d’Aumale l’accompagnait. Les deux princes, entrés en Espagne le 2 octobre avec leur suite, y reçurent partout l’accueil le plus empressé. Le 5, à une demi-lieue de la ville, ils montèrent à cheval, escortés par le ministre de la guerre, par le capitaine-général, par un grand nombre de généraux dont plusieurs appartenaient à l’opposition. Le temps était magnifique ; on eût dit la fête de la jeunesse et de l’espérance,