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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/346

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passion antifrançaise, chez l’autre le désir de flatter adroitement les secrètes pensées de la reine et du prince ? On est bien obligé d’admettre une explication de ce genre quand on lit la réponse de la reine Victoria à la reine Marie-Amélie. La voici telle que Stockmar la donne :

« Osborne, 10 septembre 1846.


« Madame,

« Je viens de recevoir la lettre de votre majesté du 8 de ce mois et je m’empresse de vous en remercier. Vous vous souviendrez peut-être de ce qui s’est passé à Eu entre le roi et moi ; vous connaissez l’importance que j’ai toujours attachée au maintien de notre entente cordiale et le zèle avec lequel j’y ai travaillé ; vous avez appris sans doute que nous nous sommes refusés à arranger le mariage entre la reine d’Espagne et notre cousin Léopold, que les deux reines avaient désiré vivement, dans le seul but de ne pas nous éloigner d’une marche qui serait plus agréable à votre roi, quoique nous ne pouvions considérer cette marche comme la meilleure. Vous pourrez donc aisément comprendre que l’annonce soudaine de ce double mariage ne pouvait nous causer que de la surprise et un bien vif regret.

« Je vous demande bien pardon de vous parler de politique dans ce moment, mais j’aime pouvoir me dire que j’ai toujours été sincère envers vous.

« En vous priant de présenter mes hommages au roi, je suis, Madame, de votre majesté la toute dévouée sœur et amie,

« Victoria R. »


À en croire le baron de Stockmar, ce qui aurait blessé la reine Victoria dans la communication de la reine Marie-Amélie, ce serait bien plus la forme de la lettre que le fond même de l’affaire. Elle pensa, on pensa autour d’elle que ce simple billet de faire part, sans aucune allusion aux difficultés pendantes depuis quatre ou cinq ans, sans aucun témoignage de regret touchant les dissentimens survenus, ressemblait à une offense. La reine Marie-Amélie avait l’air d’ignorer ce qu’elle savait comme tout le monde et mieux que tout le monde. De là le ton offensé, et à son tour offensant, de la réponse de la reine Victoria, ces rappels si hautains à la vérité, ces leçons de mémoire données si sèchement, si durement, malgré l’apparente courtoisie des formes : Vous vous souviendrez peut-être…, vous avez appris sans doute…, vous pourrez donc aisément comprendre… Stockmar ne dit rien de ces duretés et, paraît à peine s’en apercevoir, il insiste avant tout sur les torts du roi Louis-Philippe envers la reine Victoria (car c’est lui seul, on le conçoit, qu’il rend responsable de la démarche et de la missive de la reine