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craindre que, par l’influence du caractère de lord Palmerston, plutôt peut-être que de ses intentions, les allures politiques de l’Angleterre ne subissent une modification graduelle ou brusque, et malheureusement les affaires d’Espagne viennent d’en être l’occasion.

« Dans le premier moment qui a suivi la lecture de la lettre de la reine Victoria, j’étais tenté de lui écrire directement, et j’ai même commencé une lettre pour faire appel à son cœur et à ses souvenirs, et lui demander d’être jugé par elle plus équitablement et surtout plus affectueusement ; mais la crainte de l’embarrasser m’a arrêté, et j’aime mieux t’écrire à toi, à qui je puis tout dire, pour te donner toutes les explications nécessaires, to replace the things in their true light, et pour nous préserver de ces odieux soupçons dont je puis dire en toute sincérité que ce n’est pas à nous qu’on pourrait les adresser.

« Je reprendrai donc avec toi les choses au commencement et je remonterai à l’origine des mariages espagnols.

« Tu sais, ma chère amie, que, pendant sa régence, et longtemps avant son expulsion, la reine Christine nous demandait sans cesse de conclure les mariages de nos deux fils cadets, les ducs d’Aumale et de Montpensier, avec ses deux filles, la reine Isabelle II et l’infante Louise-Ferdinande. Nous lui avons constamment répondu que, quant à la reine, quelque flattés que nous fussions d’une pareille alliance, il n’y avait pas à y penser, et que nous avions sur cela un parti bien arrêté ; mais que, quant à l’infante, nous nous en occuperions quand elle serait nubile, ou, comme on dit en Angleterre, marriageable, et que, pourvu qu’il y eût bonne chance qu’elle ne devînt pas reine, et qu’elle restât infante, c’était une alliance qui nous conviendrait beaucoup, et que nous la ferions contracter avec plaisir au duc de Montpensier.

« À mesure que les succès militaires de tous mes fils donnaient une nouvelle impulsion à cette opinion favorable qui se développait de toutes parts sur leur compte, et que le glorieux combat d’Aïn-Taguin, où le duc d’Aumale commandait, et où il parvint à s’emparer de tout le camp (autrement dit la Smala) d’Abd-el-Kader, entourait son nom de ce prestige qui entraîne toujours les hommes de tous les pays, il s’élevait en Espagne un cri que je pourrais dire presque universel, pour exprimer le vœu que le duc d’Aumale devînt l’époux de la reine Isabelle II. Mais je continuai à être aussi sourd à ce vœu que je l’avais été à ceux qui m’avaient été adressés successivement pour placer le duc de Nemours sur les trônes de Belgique et de Grèce et pour lui faire épouser la reine de Portugal. Mes refus furent nets et positifs. Je n’ai jamais trompé personne. Je l’ai dit aux Portugais comme aux Belges. Je n’ai laissé aucune illusion, ni à ceux qui craignaient, ni à ceux qui désiraient, et après que ma loyauté, dans les intentions que je proclamais de ne pas accepter la main de la reine d’Espagne pour le duc d’Aumale, avait été